Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

“Lustig”,un nom qui donne le ton: en allemand, il prête à rire puisqu’il est drôle.

Un nom comme une prophétie du destin de celui qu’on retient comme l’un des escrocs les plus marquants du XXème s.: Victor Lustig.

Un homme à histoires bien que sans histoire: les paradoxes ne sont-ils pas la clé de la circulation du sens et leur caution dans l’ombre?

Les escamoteurs dont Lustig s’invente une digne succession le savent: les étincelles les plus vives sortent là où on les croit éteintes pour brûler les certitudes et confondre le chaos.

Ce n’est pas un hasard si Victor Lustig est né avec l’électricité, en 1890 et à la porte du siècle des fantasmagories marchandes et de la ville-spectacle: un spectacle qu’il portera sur la scène exubérante et sans précédent de son existence comme une sottie savante.

Le Palais de l’électricité lors de l’Exposition Universelle à Paris en 1900.

 

Une existence qu’il dressera comme un tour de passe-passe et au front des rationalisations en marche des progrès et des hygiènes du confort des causes et leurs effets de Spleen: une existence comme un mât de plus à la Nef des Fous, comme un Fou occulte au Mat du tarot qui avoue révéler cet excès de signification en jeu au sein même du jeu, ce surplus de sens célibataire, errant et hérétique que Lévi-Strauss n’a pas encore ensorcelé sous la balise de signifiant flottant.

À Paris, “qui flotte ne coule jamais” comme le poursuit par voie de fleuve en songe la célèbre devise de la corporation des Nautes et depuis, plusieurs siècles sans carnaval ont amassé du sens excédentaire à ne plus savoir qu’en faire.

“Sous le Pont Mirabeau coule la Seine”

Victor Lustig arrive à Paris comme ce fol attendu des régénérations du sens au sein d’une capitale qui devient la vitrine mortifiée du Capital bientôt en proie aux dépeçages rituels de ses prestiges par le tourisme et l’objet dérivé qu’est la culture.

Paris, 1900.

Cela tombe bien: lorsque Lustig débarque à Paris après avoir escroqué outre-atlantique le roi des Gangsters Al Capone, nous sommes en 1920: ce sont les années folles.

Et il y vient dépenser l’argent des ses roueries américaines dans la ville rutilante du Grand Ouest européen. Si vite ou si bien qu’il se trouve bientôt à cours de ressources.

Un matin alors qu’il lit le journal dans sa chambre du luxueux hôtel le Crillon, il se laisse happer par un article expliquant les difficultés d’entretien de la Tour Eiffel construite à l’origine pour l’Exposition Universelle de 1889 et son possible démantèlement.

Son démontage avait de fait déjà été prévu en 1909 mais son utilité dans le domaine militaire l’avait sauvée. L’article se finissait sur une question oratoire : Devra-t-on vendre la tour Eiffel? L’esprit de Lustig ne fit qu’un tour: sa rhétorique en fit bien d’autres…

Armé de fins mots et carapaçoné d’esprit, il se fit passer pour un fonctionnaire d’état et diffusa auprès des grandes entreprises des récupération de ferraille des mises au concours pour la vente de la Tour Eiffel.

Puis il les invita à l’hôtel Le Crillon, lieu prisé des diplomates et hommes d’affaires, vitrine de choix pour des négociations de vente dont il avait orchestré le lustre.

Cinq ferrailleurs avaient mordu à l’annonce. Dans une ambiance discrète et feutrée, Lustig leur tint la confidence que la Tour Eiffel allait imminemment être démolie et vendue en tant que «ferraille». De quoi affamer les quincaillers modernes qu’il ne tarda pas à accompagner au pied de la tour pour une mise en bouche.

Son aisance magistrale confondit jusqu’au fonctionnaire du guichet d’entrée qui le laissa monter dans la Tour avec une carte de ministre que Lustig avait hâtivement falsifiée. Ses clients durent payer l’entrée, mais ce n’était encore qu’une mise en bouche…

Le lendemain, à l’hôtel Le Crillon, Lustig avait ciblé sa victime: André Poisson, un homme d’affaires peu sûr de lui qui espérait se faire une place dans le monde des finances grâce à cet achat.

Mais le monde des affaires, cette arnaque admise à échelle industrielle faisait pâle figure face à la Cour des Miracles dont Lustig déclinait à lui seul les ministères.

Malgré les réticences de sa femme, Poisson, convaincu de l’authenticité de la transaction, se fit prendre et avec l’aide de son nom, à l’hameçon. Lustig, l’argent en poche, s’enfuit à Vienne où à distance il prit acte du silence de la presse française au sujet de son escroquerie: sa victime, trop humiliée, n’avait pas eu le courage de dénoncer l’affaire à la police.

Un mois plus tard, Lustig revint à Paris. Il revendit la Tour Eiffel. Cette fois-ci, sa victime le dénonça. Il déguerpit en vitesse. Il retourna aux Etats-Unis où il retrouva un ancien amour: la fausse monnaie. En 1934, la fausse monnaie inondait le pays.

Lustig fut arrêté. On l’emprisonna à New York. La veille de son procès, il réussit à s’enfuir en utilisant son drap de lit comme corde.

En 1935 on le retrouva.

Il mourut en prison d’une pneumonie au sortir de la seconde guerre mondiale.

Depuis, David Copperfield a fait disparaître la Statue de la Liberté: personne n’a démantelé l’arnaque de la culture.
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