Nadia Barrientos - Paris Sortilèges
⇐Vaisseaux Fantômes⊥
1/Paris et la Nef d’Isis.

Pirogue monoxyle de Bercy conservée au musée Carnavalet.

Au plus loin que l’on remonte, si l’on prend ce qui fut la première embarcation de Paris -l’une des pirogues monoxyles (faites dans un seul tronc de chêne) retrouvées sur le site de Bercy lors des travaux du Palais Omnisports et que les spécialistes datent de la période néolithique (soit -4800 av.J.C.) – la Seine avait alors un lit beaucoup plus large et il faut imaginer les marécages gagner jusqu’aux limites naturelles que dressent les collines de Montmartre, Belleville, Sainte Geneviève.

De cette période, on connaît peu de choses. Quelques millénaires plus tard, à l’époque pré-romaine, les vestiges archéologiques font toujours foi de l’importance de la Seine, autour de laquelle se développe une société qui pratique des échanges et qui divinise le Fleuve sous les traits de la figure celtico-gauloise de Sequana, qu’une statuette, probablement cultuelle, représente sous les traits d’une femme sur une nef:

Déesse Sequana retrouvée dans le sanctuaire des sources de la Seine (Côte d’or), Ier s.av.J.C.


Ex-votos retrouvés aux sources de la Seine (côte d’or), Ier s. av.J.C.

 

À cette époque des premiers siècles avant Jésus-Christ où la cité de Lutèce se développe, un culte gaulois était rendu à l’eau du fleuve dans laquelle libations, offrandes, bains rituels et oracles démultipliaient les vœux de guérison, dont certains ex-votos attestent l’importance.

 

 

 

À Lutèce-qui n’est pas encore Paris- un culte Isiaque-qui vient d’Égypte et qui a ensemencé le bassin méditerranéen- se perpétue à l’aube du christianisme et rappelle l’aspect central du fleuve dans la vie de la cité. Ce culte, nommé “Navigium Isidis” (soit “la navigation d’Isis), que l’on retrouve à la période romaine et qui survit quelques siècles après J.C, était une fête annuelle qui se déroulait en début d’année en l’honneur de la déesse magicienne et psychopompe, Isis.

Procession propitiatoire pour s’adjoindre par sympathie les puissances protectrices et fécondantes de la déesse, elle remettait cycliquement en scène la navigation mythique dur le Nil d’Isis partie à la recherche des membres du corps de son mari dispersés par Seth, son beau-frère rongé de jalousie.

On mettait alors à l’épreuve de la Seine une barquette emportant la statue en modèle réduit de la déesse et le rite s’accompagnait de chants, de rogations et de prières.

Plus tard au Moyen-Âge et jusqu’au XVIIIème s, est attestée une coutume empreinte de croyances ancestrales: lorsqu’on avait perdu quelque chose ou quelqu’un dans la Seine, on prenait une sébile de bois dans laquelle, auprès d’un petit cierge allumé, on plaçait un pain dédié à St Nicolas, le patron des eaux et des mariniers qui vint remplacer, en la christianisant, la puissance mythique d’Isis l’Égyptienne. On abandonnait alors la frêle embarcation aux courants aléatoires du fleuve et on supposait retrouver la chose perdue à l’endroit précis où l’éclaireur flottant s’arrêterait. (en avril 1718, c’est suite à ce qu’un petit bateau allumé d’un cierge se fracasse sur une cargaison de foin au port de la Tournelle, qu’un incendie énorme se déclara et vint à détruire une grande partie des alentours).

Le culte primitif d’Isis à Paris survivra de manière inattendue au travers les siècles, jusqu’à faire pencher certains historiens sur l’origine Isiaque du nom même de Paris (“per Isis” soit “temple dédié à Isis”: et on sait qu’il y en eut dans la capitale primitive). La figure sacrée et rituelle de l’Égyptienne ressurgira enfin sur le blason même de la ville-dont on sait qu’il fut légué par la première corporation de marchands de la cité gallo-romaine: les Nautes– sous le premier Empire et sous l’impulsion de Napoléon Bonaparte qui ressortit la navigation rituelle sur la Seine de l’oubli des siècles et fit représenter sur la Nef des Nautes parisiennes, la statue assise de la déesse (en égyptien ancien, “Isis” signifie “le siège”, “l’assise”) comme une proue prophylactique, surmontée d’une étoile initiatique, renvoyant aux Mystères antiques qui allument le reflux de la mémoire à la source intarie de ceux qui-comme le chuchote la devise: “naviguent mais ne coulent pas”. (“Fluctuat nec mergitur”)

Blason de la ville de Paris revu par Napoléon sous le premier Empire, avec l’ajout de la statue d’Isis.

 

2/Le blason de Paris et l’ancienne corporation des Nautes

Il y a un peu plus de 2000 ans, les Gaulois qui habitent le berceau de Lutèce et qui se font appeler les “Parisii” développent le commerce sur la Seine sur des bateaux et s’ouvrent aux échanges avec l’extérieur. Ils nous laissèrent des objets archéologiques divers qui attestent de leur puissance dont le célèbre pilier des Nautes, une colonne monumentale dédiée à Jupiter retrouvée en 1711 telle une offrande archaïque de fondation en remploi du Bas-Empire sous une travée du chœur de la cathédrale Notre-Dame.

Maquette du pilier des Nautes conservé aujourd’hui au musée de Cluny

Cette œuvre monumentale de 5 mètres constituée de 4 blocs ornés de bas-reliefs représentant des scènes diverses où se retrouvent ensemble divinités du panthéon gaulois et romain, est considérée désormais à juste titre comme le premier monument autochtone de Paris. Une dédicace, écrite en latin, nous permet de découvrir qu’il s’agit d’une œuvre à la fois religieuse et politique: offerte à l’empereur Tibère qui régnait alors sur la Gaule en qualité de province romaine par la confrérie gauloise des Nautes aux frais de leur caisse commune,le fait de représenter sur le même plan divinités du peuple conquérant (l’Empire Romain) et divinités du peuple conquis(la tribu gauloise des Parisii) invite au syncrétisme et à une volonté de coopération qui  peut paraître insolite.

Si l’on tourne autour de cette colonne,c ‘est un défilé cinétique de dieux représentés dans la majesté mythique de leur puissance:

Ésus ici à gauche, dieu gaulois de la guerre de l’agriculture et du commerce fait pendant à la majesté de l’omnipotent Jupiter. Plus loin, plus curieux encore : un dieu anthropomorphe aux bois de cerf révèle la figuration de Cernunnos, la figure majeure du panthéon celtique qui en sa qualité de maître du règne animé de l’animalité, préside au cycle renaissant des métamorphoses de la nature et de la psyché:

Cernunnos, sur le pilier des Nautes

Ce pilier cultuel et politique, miraculeusement redécouvert au XVIIIème s. et-étonnant:dans le soubassement central de la cathédrale chrétienne plus tardive, place les Nautes parisiens comme des interlocuteurs privilégiés de l’empire romain autant que des passeurs d’une culture-celte et gauloise- qui ne tardera pas à se fondre jusqu’à s’éteindre, faute de tradition écrite, et le monopole romain s’accentuant.

Un indice de la puissance de la corporation des bateliers de la Seine, outre qu’ils avaient une “caisse commune” et qu’on est donc en droit de les considérer comme la première société parisienne, tient à ce qu’ils étaient armés si l’on en croit une des  représentations qu’offre le pilier:

Nautes armés, sur une face du pilier des Nautes

 

Leur bateau, si l’on en croit le blason de Paris dont il deviendra a posteriori le symbole, ressemblait à une “cogue”, une embarcation typique (un peu plus tard, au Moyen-Âge) des Mers du Nord et dont la particularité était d’être armée contre l’éventuelle piraterie qui sévissait alors dans le transport fluvial et maritime.

Blason de la ville de Paris, la nef des Nautes

“Fluctuat Nec Mergitur” : “il est battu par les flots mais ne sombre pas”, ou encore dans une dimension qui s’ouvre à l’universel:“qui navigue ne coule jamais”, telle était la devise d’airain et spirituelle des Nautes de Lutèce; elle deviendra la devise de la ville de Paris, liant indéfectiblement le destin des parisiens aux forces toutes puissantes du fleuve et avec lesquelles, comme l’existence, ceux qui s’y risquent les bravent encore.

La profondeur philosophique de cette devise n’a d’égale que la profondeur du temps qu’elle remonte, à l’image de la nef qui l’accompagne: des siècles de commerce par voie fluviale-plus sûre que les routes terrestres, repères de bandits- qui firent de la Seine la voie névralgique d’approvisionnement et de survie des Parisiens. Des siècle de remous aussi, de crues, d’invasions et de famines où du haut des clochers de Paris, on interrogeait le cours du fleuve aussi loin qu’on pouvait en suivre les méandres.

La Seine décrivait dans le lointain comme le corps d’un serpent

C’est ici revenir à l’étymologie pré-latin du fleuve Sequana, dont certains retiennent la racine celtique “Squan”: “le serpent”.

Les Nautes gallo-romains lègueront leur héritage à la corporation des marchands de l’eau de la Seine dont les privilèges et le monopole sont attestés dès le XIIème s. À cette époque, le roi Louis VIII leur vend ce qui deviendra la premier port de Paris, la Place de Grève (actuelle place de l’Hôtel-de-ville), destinée à rester vide de tout édifice pour faire face aux afflux de denrées de toute nature.

Le port primitif de la Place de Grève au Moyen-Âge

Leur quartier général viendra à s’établir rive gauche juste en face, à l’emplacement du Port Saint-Landry sur l’île de la Cité jouxtant le quartier canonial de Notre-Dame. Dès le XIIème s.ils y fondent leur paroisse, l’église St Landry sous le patronage de St Nicolas, protecteur des navigateurs.Du siège de leur corporation, on pouvait encore apercevoir jusqu’en 1908, date à laquelle elle a été détruite: l’im

La Tour Dagobert avant sa destruction en 1908, rue Chanoinesse.

posante Tour “Dagobert” dont quelques photographies ont sauvé l’architecture élancée qui lui conférait une fonction de fanal nocturne et de vigie perpétuelle sur le fleuve et le cœur de la ville.

 

Investis du monopole des échanges alimentaires de la ville, bientôt et en bon droit, ils aspirent à diriger les affaires de la ville, son administration. Leur chef, d’abord prévôt de la marchandise d’eau accèdera à la charge de prévôt des marchands de la ville qui est l’ancêtre du préfet de la Seine et de l’actuel maire de Paris.

Parmi d’autres fonctions qu’ils occupaient, une des plus curieuses à une époque où Paris ne comptait que deux grands ponts en pierre (le Grand et le Petit pont) aux arches encombrées de moulins et de bateaux-lavoirs : celui qu’on appelait “l’avaleur de nefs”.

 

“l’avaleur de nefs”

 

La charge d’avaleur de nefs est créée au XIVème s. et perdure jusqu’au XVIIIème afin de faciliter la circulation et de diriger les embarcations  qui traversent Paris entre les arches des ponts souvent aux prises avec la violence des courants. “Que le lecteur ne voie pas dans ce fonctionnaire une sorte de Gargantua engloutissant les bateaux chargés de vivres et de vins; il avalait les nefs: il les faisait descendre, il les dirigeait en aval de la rivière” nous rappele malicieusement un historien du XIXème s.

Cet officier était aussi douanier: il réclamait un droit de passage obilgatoire à tout bateau voulant traverser la ville qui se devait d’être payé sous l’arche centrale du Grand Pont à l’avaleur de nef qui arrivait sur une petite barque.

Le monopole des marchands de l’eau de Paris perdurera jusqu’à la Révolution quand la liberté de navigation abolira leurs privilèges. Plus tard, au XIXème s, le commerce fluvial allait être mis en concurrence avec le rail lors de l’avènement de la révolution que constitue le chemin de fer. Ce sera, peu à peu, le déclin d’un monopole et avec lui, l’obsolescence de nombre de métiers.

Aujourd’hui, le musée de la batellerie et des voies navigables à Conflans-Sainte-Honorine retrace l’épaisseur de cette histoire plus que millénaire♦

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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