Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

C’est à Paris comme une lanterne magique, cet instrument optique, qui avant de servir aux projections d’images objectives, mystifia plus d’un siècle force d’apparitions de diables terrifiants et de fantômes qui laissèrent croire à la porte laissée ouverte des Enfers.

Les images se dissipent dans le lointain, ou alors elle deviennent plus mouvantes, plus mouvementées, plus labiles et plus flottantes. Dans la banlieue, dans les marges, passée la limite factice qui confère à la ville un asile homologué où les images s’autorisent, se reproduisent à la faveur des modes et des usages, les contours se déforment et les fréquences se font subtiles. Un horizon sonore fossile dégrise les chambres d’échos les plus admises et c’est le terrain de jeux de l’à-peu-près, de la rumeur et des terrains vagues.

Bataille de chevaliers sur un terrain vague à Belleville dans le film Rue des Cascades, 1964

Aujourd’hui toujours, malgré les traçabilités optimisées d’une information dite “en temps réel”, les banlieues parisiennes sont toujours le creuset imaginaire des monstres de la pensée la plus informulée et la plus vague. Séjour des populations les plus barbares, les plus étranges…comme antan on reléguait les monstres épouvantables aux limites des terres conquises et balisables.

“Au Diable Vauvert”: une expression encore courante. Elle prend racine dans l’histoire intraçable du hors-les-murs de Paris, au XIème s. quand le roi Robert Le Pieux décide de s’établir une résidence en dehors de Paris, loin des remous de la cité sonnante et trébuchante dans un lieu-dit vallonné semé de vignes et de champs nus: le “val vert” qui deviendra avec la rouille de l’usage “Vauvert”.

Le château de “Vauvert” de Robert le Pieux au XIème s.

C’est le terrain actuel que recouvre le jardin du Luxembourg et une partie de l’avenue de l’Observatoire.

Malgré sa piété légendaire, le Roi, fils de Hugues Capet, répudie sa première femme lui préférant sa propre cousine Berthe de Bourgogne. Le lien de parenté étant jugé trop proche, le roi se fait excommunié par le Pape.À sa mort en 1031, sa résidence est abandonnée et tombe rapidement en ruines: il n’est pas bon de de récupérer la demeure d’un roi excommunié, c’est un lieu maudit où la présence du Diable est évidence…

Le château d’un roi excommunié ne pouvait que se nimber d’une réputation sinistre: il devint vite, par redondance, le repaire des proscrits, des fugitifs et des bandits.

Les ruines du Château de Vauvert

 

Une sorte de squat où une Cour des Miracles “hors-les-Murs” se livrait aux désordres nocturnes les plus féroces: leurs cris, leurs hurlements, leurs bombances interlopes finirent définitivement par établir la réputation de lieu hanté et maléfique, sujet aux enchantements des âmes damnées dont la littérature édifiante de l’époque multiplie les frasques nocturnes et effrayantes aux marges des cités et des villages à seule fin de gouvernement des consciences et de bonne conduite des chrétiens.

Les quelques voyageurs qui par mégarde et nuitamment s’aventuraient dans les parages des ruines de Vauvert, rendent témoignages des épouvantes les plus sourdes. Le Château de Vauvert devient dans l’imaginaire du Paris du XIIème s. la porte même des Enfers.

D’ailleurs, et l’étymologie est souvent fort suggestive: la rue qui partait au XVIème s. du Palais du Luxembourg vers l’actuelle place Denfert-Rochereau, s’appelait “la rue d’Enfer”. (elle disparaît au XIXème s. avec le percement du bld St Michel et l’ouverture de la rue “Denfert”-Rochereau)

Porte des Enfers donc, comme ces gueules béantes et terrifiantes qu’on retrouve dans les Mystères théâtraux sur le parvis des églises d’alors les jours de fête: à quoi, pour parfaire le spectacle il convient d’ajouter les nombreuses carrières qui se creusent alors dans les parages du Château ruiné et dans lesquelles le vent s’engouffre, réverbérant des sons aigus et lugubres. Les terrains marécageux aussi, comme d’étranges athanors aux chimies ensorcelées, laissent échapper des gaz étincelants de leurs eaux putrides: on ne tarde pas à se convaincre de la présence de “feux-follets” que certains prennent pour des Génies, que d’autres christianisent sous la figure des âmes errantes des enfants morts sans baptême.

Le temps passant, en 1257  le roi Saint Louis concède le terrain aux moines Chartreux pour qu’ils y établissent leur monastère. Ces derniers jadis établis à Gentilly, avaient l’habitude d’apercevoir au loin la bancale silhouette du Château de Vauvert où ils discernaient aux heures du crépuscule les monstres et les spectres les plus divers. Parmi eux, rapportèrent-ils: un grand Diable de couleur verte, mi-homme, mi-serpent: le DIABLE VAUVERT.

La concession du Château hanté aux moines chrétiens se révèle un acte politique qui vaut d’exorcisme: en redonnant au lieu une affectation spirituelle, il s’agit de conjurer le maléfice et de chasser littéralement tous les fantômes.Les donations de riches parisiens affluent et bientôt les Chartreux reconstruisent un monastère qui s’établit sur un terrain de 17 hectares. Des ruines de l’ancien lieu perdurent nonobstant où les esprits frappeurs se font entendre…

Les maléfices résistent bien sûr à la présence des Chartreux tout comme le tour de passe-passe résiste au débinage. Les pauvres Gueux durent sans doute s’accommoder de leurs nouveaux voisins et, la capacité d’adaptation étant leur fort, poursuivirent leurs farces et facéties aux limites du terrain.

Durant tout le XVIème s, les parisiens y attestent encore des Sabbats nocturnes que l’on sait présidés par le Diable Vauvert lui-même, parcourant la rue d’Enfer sur un char ardent et étranglant les malheureux qui se trouvaient sur son passage.

En 1615, Marie de Médicis achète un terrain mitoyen de la Chartreuse et se fait construire le palais du Luxembourg aujourd’hui reconverti dans le siège du Sénat. Petit-à-petit, la ville gagne sur la campagne…et les diables, comme les pauvres, se voient contraints à être repoussés encore plus loin:

Au XVIIIème s. quelques charlatans sagaces faisaient voir “le Diable Vauvert” à leurs crédules victimes dans les carrières désaffectées de Gentilly…un spectacle de “Fantasmagorie” avant l’heure que la Lanterne Magique bientôt viendra parfaire et rendre rentable à la veille de la Révolution française♠
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