Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

Quand on se promène à Paris, pour peu qu’on lève les yeux, certaines façades révèlent une chose étrange:

Fenêtre fantôme, rue Antoine Dubois, 6ème arrondissement.

 

Façade rue de Bretonvilliers, île St Louis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des fenêtres…fantômes.

D’autant plus étranges que leur cadre semble avoir été prévu: entablement, corniche et parfois même un balcon viennent redoubler la surprise de leur absence.

Que peuvent bien nous raconter ces escamotages?

Dans les coulisses du théâtre de la ville dont certains ont souligné l’aspect factice à l’aube de l’urbanisme industriel, une telle mise en abyme apparaîtrait comme l’indice indéniable d’un Paris en carton-pâte:

cette ville-spectacle que les cabarets fantasques et les maisons closes ponctuaient à la fin du XIXème s. d’excroissances en stuc inspirées de l’extravagance des baraques foraines voisinant les portes de Paris.

Les Cabarets du Ciel et de l’Enfer, 52 boulevard de Clichy, vers 1890.

 

Chant du cygne d’une culture de la merveille et de l’étrange, bientôt sacrifiée aux spéculations des lotisseurs et au façadisme orthonormé, le Paris en carton-pâte des cabarets à thèmes et des bordels capitulera face à l’impératif de rendement qu’immeubles de rapport et avenues publicitaires, passages commerçants et supermarchés-drugstores bientôt irradieront jusqu’aux campagnes reculées où viendront s’armer en kit carrefours commerciaux et villes nouvelles.

Déjà la fin du XIXème s. le prophétise sous les augures de la rénovation urbaine entreprise par le Baron Haussmann

Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

Boulevard St Germain, une photographie de Charles Marville, 1877.

 

dont les photographies commandées à l’époque à Charles Marville témoignent des balistiques: une ville percée à jour d’avenues rectilignes afin de parer aux émeutes potentielles et d’accroître la traçabilité des allers et des venues;

Un XIXème s. industriel et décadent dont Joris-Karl Huysmans se fera l’oracle, sans le savoir, en signant l’une de ses réflexions sur la transformation de Paris de la sombre perspective: “lorsqu’on aura complètement aboli les traces des tavernes d’antan pour y substituer partout le luxe moderne des grands bars”.

“Le luxe moderne des grands bars”: on entend le galop aseptisé des surfaces lisses et brillantes qui bientôt viendront javeliser les miettes des encas des ouvriers dans les cantines et les miasmes de conversations allumées dans l’ombre clandestine des guinguettes.

Une surface lisse: le “bar” en tient le nom, un nom qui s’introduit depuis l’Angleterre en France en 1857, pour désigner par métonymie l’établissement moderne où l’on vient s’asseoir sur la “barre” d’un comptoir. Un concept nouveau alors et qui s’inscrit dans l’idée consumériste naissante d’une interchangeabilité rapide des clients, l’inconfort de l’assise favorisant le débit et à court terme: la rentabilité des consommateurs.

 

 

 

 

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