Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

La “Reine des Halles”: l’Érynie vengeresse oubliée du Ventre de Paris

Elle s’appelait Louise-Renée Leduc est était fruitière aux Halles. Femme du peuple dont le franc-parler se mêlait à la franche gouaille des poissardes et des vendeuses à la Criée, elle entre dans la grande Histoire lors des journées d’Octobre 1789.

En cette matinée frileuse du 5 Octobre 1789, pour de sombres raisons, les voitures qui approvisionnent chaque jour la capitale en farine sont bloquées aux portes d’octroi de la ville. Il n’y a plus de pain sur l’étal des boulangers. Ceux qui possèdent encore des restes de marchandises de la veille en profitent pour  faire flamber les prix à la revente. Jamais le pain n’a été aussi cher qu’aujourd’hui. Le peuple a faim.

Parmi les poissardes, harangères et les petites maraîchères-la corporation féminine des Halles- la colère grandit. Pendant ce temps là, à Versailles “le boulanger, la boulangère et le petit mitron” mangent à leur faim pendant que le peuple crève!

Parmi les femmes du Ventre de Paris, se démarque tout de suite Louise-Renée Leduc qu’on surnomme “la Reine des Halles”: sanguine, sans concessions, elle harangue la foule de commerçants comme un homme, à l’époque où les femmes ne jouissent d’aucune légitimité politique. Féroce, convaincante, elle persuade ses collègues d’agir.

Mues par la rage- le peuple désire alors que le Roi vienne s’installer à Paris et ratifie les décrets relatifs à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen- et échaudées par la frustration d’une faim qui se propage, les femmes des Halles sous l’escorte de la Reine des Halles quittent leurs étals vides et marchent jusqu’à l’Hôtel-de-Ville. Il est tout juste 7 heures du matin.

Là, de nombreux hommes les ont rejointes qui veulent discuter des actions à mener afin de soumettre le Roi à la volonté du peuple. Les femmes, poussées par les revendications plus contingentes de leurs ventres vides, galvanisent la foule:  bientôt, la tension atteint son paroxysme. Des armes circulent, les voilà pourvues de piques aux lames acérées.Alors qu’une froide pluie d’automne glace les os, la Reine des Halles exhorte ses compagnes à prendre le chemin de Versailles pour forcer le Roi à leur donner du pain. Il est 10 h, les femmes se mettent en marche.

Sur leur passage dans Paris, les “Furies” des Halles enjoignent les passantes à les rejoindre, certaines même délogent des bourgeoises du confort de leur demeure et les rallient à l’exaltation de leur cortège. Des canons volés en place de Grève auxquels se joignent les cris des enfants affamés qu’elles portent entre leurs bras saturent l’horizon sonore. Si le Moyen-Âge n’avait pas déjà refermé son imaginaire encombré de processions de diables et d’âmes damnées du purgatoire, on aurait aisément pris cette avancée de figures dépenaillées revêtues de vengeances sourdes pour une déprédation fantastique sortie toute droite d’un rêve édifiant servant à impressionner l’imaginaire. Si la psychanalyse avait été de mise, l’on se serait contenté du plat diagnostic d’un retour du refoulé.

Visages émaciés et oripeaux que cinglent le vent, le cortège attire aussi les hommes qui pour s’y greffer, se déguisent en femmes à la va-vite. Ensemble-ils sont 8000- ils prennent la direction de la Cour par les routes mouillées. À leur tête, la Reine des Halles caracole tantôt à cheval, tantôt juchée sur un canon, les cheveux au vent.

À 16h,une foule de femmes dépoitraillées et aux vêtements maculés de  boue hurlent devant les grilles du château de Versailles. Vers 17h, le Roi, coincé, accepte de recevoir une délégation de 12 femmes escortées par deux hommes, comme il convient alors. C’est la Reine des Halles qui s’infiltre et réussit à pénétrer dans l’appartement du Roi. Comprenant qu’il ne peut s’opposer à cette foule galvanisée par la faim, la colère et la fatigue, Louis XVI accepte de ratifier la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ordonne que des charrettes de pain soient séant convoyées vers la capitale.

Mais la Reine des Halles ne se démonte pas: elle entend bien ramener le roi et sa famille à Paris. Le lendemain, le 6 Octobre, c’est au son de la chanson “le boulanger, la boulangère et le petit mitron” qu’elle escorte le retour forcé du monarque et de sa famille qui viendront s’installer au Palais des Tuileries, étroitement sur surveillance.

Ces “journées d’Octobre”, portées à incandescence par les femmes du petit peuple des Halles dont Louise-Renée Leduc couronnera le chef,ouvrent la page de la grande Histoire, celle qui ne tardera pas à s’enchaîner avec la violence qu’on connaît et les bouleversements qui ébranlèrent jusqu’à anéantir l’Ancien Régime.

Elles ont pour conséquence immédiate le déplacement du centre politique de la France de Versailles à Paris. En obtenant la ratification par le Roi de la Déclaration des droits de l’homme, elles engagent la perspective égalitaire d’une abolition des privilèges sans pour autant faire valoir le droit des femmes qui resteront les grandes oubliées des victoires politiques et du droit révolutionnaires…alors qu’elles ont bravé force d’audace et de courage, les premières lignes les plus risquées.

“La femme a le droit de monter à l’échafaud; elle doit également avoir celui de monter à la tribune”: il faudra encore attendre pour que la phrase de cette autre grande femme de la Révolution, Olympe de Gouges, que le couperet de la Guillotine força à taire, fasse résonance dans l’imaginaire incandescent de l’horizon égalitaire.

D’égérie d’un jour, avec cette force mythologique que convoque sa détermination de justicière, la “Reine des Halles” souffrit le destin des victimes expiatoires qu’on remise dans les geôles obscures de la mémoire: tenue responsable des journées du 5 et 6 Octobre 1789, elles est incarcérée au Châtelet. Sa détention, dans les conditions effroyables des geôles médiévales de la prison d’alors, affecte petit-à-petit sa santé mentale. Libérée suite à une pétition du peuple en 1792, elle participe à l’invasion du palais des Tuileries le 10 Août 1792 et fait preuve d’une violence qui marque les esprits: elle aurait tué des gardes de ses propres mains.

Mais le lot des ironies et des désertions, du manque de panache et de tiédeur de ses compagnons de lutte ont définitivement brisé quelque chose en elle: elle finit par sombrer dans la folie…et meurt en 1793 dans l’oubli concerté d’un hôpital.

Un oubli redondant qui semble l’avoir comme effacée encore aujourd’hui dans les mémoires de ces épisodes cruciaux qui ont bouleversé le cours de notre Histoire: la grande et la petite, celle qui fédère et celle qui se réveille dans l’intime, dans le Ventre et dans les tripes… des Halles de Paris♠

 

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