Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

 

 

 

∑La tombe d’un affabulateur au cœur du cimetière le plus ancien de ParisΨ

 

C’est au cœur du village bucolique de Charonne à la limite de l’Est parisien que se dresse depuis le XIIème s. l’église St Germain, sa tour romane bien solide servant d’amer au paysage qui transpire encore l’air de la campagne, au sommet d’une butte naturelle qui se poursuit en contrebas avec la mythique et populaire rue Saint Blaise.

La particularité de cette paroisse? Avec l’église St Pierre de Montmartre, elle est la seule église intra-muros qui conserve son cimetière d’origine, mitoyen de l’édifice (l’ensemble des cimetières qui à Paris depuis l’époque médiévale ceinturaient leurs églises ont été déplacés, pour des questions d’hygiène et de rationalisation urbaine en dehors de la ville à partir de la fin du XVIIIème s).

Le cimetière de Charonne qui garde l’allure d’un cimetière de village, est aussi ancien que son église, ce qui en fait le plus ancien de Paris intra-muros. Annexé à Paris en 1860 en même temps que la commune de Charonne, ce cimetière compte 650 tombes.Paroissiens, dynastie de boulangers, voisins, comédiens rivalisent d’anonymat aux yeux du promeneur contemporain. Excepté peut-être Marie de Miribel, dont une station de tramway voisine rappelle le souvenir des œuvres de Résistance et d’aide sociale durant la seconde guerre mondiale.

Pénétrons dans le cimetière: hormis deux ou trois caveaux du XIXème s, la plupart des tombes sont d’époque récente. Le cimetière n’est pas très grand, le tour est vite fait. Au fond, contre le mur qui le sépare du Chemin du Parc de Charonne, uns statue d’un autre temps attire l’attention. Surmontant un piédestal lui-même juché sur un promontoire qui excède de beaucoup les dimensions des concessions ordinaires, une statue en fonte de fer habillée à la mode de la fin du XVIIIème s. domine les parages comme un insolite berger veillerait sur son troupeau.Coiffée d’un bicorne, sa main gauche s’appuie sur une canne, sa main droite retient un bouquet. D’aucuns y ont reconnu les traits du philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau. D’autres s’acharnent à croire aveuglément qu’il s’agirait d’un proche de Robespierre.

Mais qui est cet homme? L’inscription sur le piédestal nous renseigne: un certain “Bègue dit Magloire, peintre en bâtiments, patriote, poète, philosophe et secrétaire de Monsieur Robespierre 1793”.

 

Et bien il n’en est rien! Ou pas tant, ou bien plus encore:

certains voisins de Charonne au début du XXème s. étaient encore quelques uns à se souvenir du “Père Magloire” de leur enfance; de son (vrai?) nom, François Bègue, un esprit original et pittoresque, dont la propension mystificatrice et le goût de la mise en scène finit par confondre le souvenir lui-même.

Peintre en bâtiment ou serrurier, le plus probable est que cet ouvrier travaillait de son vivant dans un atelier qui jouxtait le cimetière. Il y officiait aussi en qualité de rebouteux et d’alchimiste populaire, une activité qui lui permit sans doute d’amasser une fortune non négligeable. On raconte que prévoyant sa mort, il s’était confectionné lui-même et sur mesure le cercueil qui lui servirait de lit ultime. De plus, les documents notariés en date du 30 août 1832 rapportent la somme conséquente(2 600 frs) que le père Magloire déboursa pour acquérir le terrain considérable de sa future sépulture (42 mètres) où il souhaitait se faire enterrer avec un ami à lui, serrurier de son état. Une fois le terrain acheté, Magloire fit édifier son monument à l’image de sa biographie: avec du matériel de récupération.

Il écrivit alors son épitaphe où éclats de vérité et de légende épousent à la fois la contagion populaire et plus savante: le peintre en bâtiment y fréquente le philosophe, le poète y rêve le secrétaire.

Mais qu’importe, peut-être ne fut-il rien de tout cela, peut-être excéda-t-il tout…il reste nonobstant une chose, peut-être la clé qui les ouvre toutes: Le père Magloire, en sus d’être foisonnant, était prodigue: ses funérailles en témoignent.

Pour le jour de son enterrement, il fit le vœu que le vin y coule à flot et que bombance s’y invite. Il vint à mourir en 1837.Une chanson, probablement la seule relique-orale- qu’il nous reste de ses funérailles, laisse entendre qu’il avait généreusement alloué une somme pour inviter quiconque y passe à se remplir la panse et le gosier à la santé de sa mort, en bon vivant:

 

Aujourd’hui, le chat noir qui garde sa tombe est seul peut-être à se souvenir ou à recomposer les bons morceaux dans la soif toujours ouverte du récit.

 

 

…Et comme la réalité s’ingénie à imiter ou à poursuivre les rêves généreux des excentriques, redoublant dans le ville les signes hilares de leurs énigmes battantes, une dernière chose: lorsqu’on longe le chemin du Parc de Charonne à l’extérieur du cimetière, le bicorne du Père Magloire surgit comme un drôle d’artefact…en conversation étrange… avec plus curieux encore♣
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