Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

 

 

Lorsqu’on pénètre dans la Cour d’honneur de l’hôtel de Beauvais dans le Marais (68 rue François Miron) qui abrite aujourd’hui le siège de la Cour d’appel de Paris, on est frappés par l’apparition d’un mascaron étrange:

le strabisme qui révèle un regard divergent de la figure, auquel se rajoute un faciès bien singulier ne laissent aucun doute qu’il s’agit ici d’un portrait et non d’un archétype de gargouille.

Mais de qui s’agit-il?

L’histoire de l’hôtel ne tarde pas à le révéler: l’hôtel de Beauvais bâti au coeur du Marais en 1655 sur le terrain de l’ancienne résidence urbaine des abbés de Chaalis, est destiné à une femme de l’entourage de la reine Anne d’Autriche: Catherine Bellier, ennoblie par la reine qui lui donne à épouser un baron (Pierre de Beauvais) et plus connue sous le surnom de “Cateau la Borgnesse”.

L’hôtel de Beauvais garde tout le lustre de ses origines: la Cour d’honneur que le visiteur découvre en premier lieu s’orchestre comme un théâtre à l’italienne en miniature. Petit-à-petit, et à mesure que le bruit de la rue s’assourdit derrière la porte massive qui le sépare de la ville, on pénètre dans un théâtre urbain entre Cour et Jardin, aux agencements architecturaux qui forcent la surprise et optimisent les espaces.

C’est l’art de la scène et des perspectives qui est ici mis au service du souffle court du spectateur: les hôtels particuliers se construisent comme des lieux clinquants de réceptions et de fêtes avant que d’être un lieu intime de résidence.

Et c’est à partir du XVIIème s, au coeur du Marais à Paris qu’ils se multiplient afin d’être au plus près de la résidence de la Cour royale, déplacée au XIV ème s. dans les environs de son hôtel Saint Pol par le roi Charles V, puis déplacée au palais du Louvre.

L’hôtel de Beauvais en plein centre de ce nouveau quartier couru par les demeures de plus en plus spectaculaires des puissants, garde un énième secret: il est le seul hôtel particulier qui n’a pas été construit pour un noble homme de Cour…mais pour une roturière.

Catherine Bellier, “Cateau la Borgnesse” était en effet la femme de Chambre de la reine Anne d’Autriche. Préposée aux “basses besognes”, elle s’occupait des lavements et des clystères, de l’attirail para-médical dans l’ombre des médecins et des apothicaires qui se succédaient auprès des princes. Parce qu’elle était fort laide (son strabisme s’ajoutant sans doute à d’autres tares), elle fut choisie par la reine Mère pour un curieux rite d’initiation:  celui de dépuceler le jeune Louis XIV, futur Roi, alors âgé seulement de 14 ans.

En échange de ce service rendu, la reine lui fit épouser un baron (Pierre de Beauvais) et lui construisit cette demeure extraordinaire.

Pour sceller dans la pierre, le souvenir de cet éveil sexuel du futur Roi Soleil, Catherine, non avare de facéties et d’énigmes mémorables, se fit représenter sur la frise de la cour de l’hôtel sous les traits d’un bélier (“Bellier” était son nom de jeune fille) aux côtés de la figure d’un lion (allusion évidente à Louis XIV).

Ainsi, comme les métamorphoses d’un chamane qui rejoint le monde intangible des animaux totems et des Esprits, la virginité perdue du jeune roi trône toujours par le truchement du rébus sur le fronton de l’hôtel le plus curieux du Marais, comme un trophée…à clés.

 

 

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