Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

 

Une légende noire…

Nulle reine de France n’a autant attisé de passions comme Catherine de Médicis: sa “légende noire”, réhabilitée à partir de la fin du XXème s. lui attribua les sentiments les plus avilissants. D’abord, sans doute parce qu’elle n’a jamais cessé d’être cette “étrangère” venue d’Italie, entourée de conseillers florentins pétris eux-mêmes à la pensée politique de Machiavel et au néo-platonisme hermétisant de la Cour de Laurent Le Magnifique, son illustre aïeul. Ensuite, bien sûr, parce qu’elle était une femme (femmes auxquelles, rappelons-le, on prêtait le vice originel d’avoir fait chuter l’homme du jardin d’Éden) qui, au gré des cahots du destin, s’est retrouvée à devoir assumer des responsabilités importantes, en qualité de Régente du royaume de France.

Dès son arrivée en France pour un mariage arrangé avec le fils cadet de François Ier, celle qu’on surnomme “la Banquière”et qui arrive avec une dot conséquente, se fait remarquer par son intelligence et la nostalgie de l’Italie qui la pousse à faire venir à la Cour artistes et philosophes, comédiens et cuisiniers de son pays (c’est elle qui introduit en France le sorbet et les macarons, l’asperge et l’artichaut). Entre festivités de Cour où machineries illusionnistes et art d’improvisation (c’est l’arrivée de la Commedia dell’arte à Paris) dressent le tréteau de la fable du pouvoir,et dissensions de plus en plus profondes au cœur du Royaume entre catholiques et protestants, la Reine tente vaille que vaille de mener une politique de concorde, à l’image de l’harmonie céleste dont le néo-platonisme florentin lui inspire le modèle.

Ses premières années en France ne sont pas faciles: sous peine de répudiation,  elle se doit de donner à son mari des enfants mâles afin d’honorer la dynastie. Bientôt, les rumeurs de stérilité allant bon train puisque dix ans de mariage n’avaient pas encore donné d’héritier à la couronne, la légende lui prête l’ingestion de philtres que les magiciens qui la suivent, réalisent dans le secret de recettes extravagantes et d’invocations à des puissances démoniaques. Fable ou réalité, Catherine accouche en 1544 d’un enfant mâle (le futur François II) puis 9 autres enfants suivront.

Mais la Roue de la Fortune est ainsi faite qu’elle retire parfois ce qu’elle accorde, et malgré une consultation par catoptromancie (divination à l’aide de miroirs magiques) avec son astrologue florentin Cosme Ruggieri qui lui prédit les années de règnes respectifs de ses trois fils, la dynastie des Valois dont elle est le dernier ventre s’éteindra de son vivant avec les morts successives de ses trois enfants mâles (François II, Charles IX et Henri III, morts respectivement à 16, 24 et 37 ans).

À la mort de la Reine en 1589 que le même Ruggieri avait prédit de façon énigmatique se produire “non loin de St Germain”et que la Reine remua ciel et terre pour voir échouer -allant jusqu’à brutalement arrêter en 1572 le chantier de construction de son Palais des Tuileries car situé funestement près de l’église de “St Germain”l’Auxerrois, la poussant à ne plus jamais remettre les pieds au château de St Germain-en-Laye, séjour pourtant fréquent de la Couronne…pour finir fatalement à Blois, dans les bras de son confesseur qui, alors qu’elle exhalait son dernier souffle, lui révéla son nom: Julien de “St Germain”-en 1589 donc, la Couronne de France reviendra à un Bourbon, qui plus est protestant, qui fort d’un “Paris vaut bien une messe” se convertit au catholicisme et brigua le trône sous le nom d’Henri IV. Ce sera la fin de la dynastie des Valois: le ventre fertilisé par voie occulte de Catherine de Médicis s’avoue a posteriori être un tombeau.

Les talismans de la Reine

Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose”

Ce sont les premiers mots de la “Table d’émeraude”, le texte liminaire du recueil plus vaste du Corpus Hermeticum, manuscrit extraordinaire retrouvé en Occident au XVème s. et traduit à la Cour des Médicis par Marsile Ficin en 1482. Ce recueil qu’on croit alors repêcher de l’époque d’avant Moïse et qui intact,véhicule une sagesse des origines à même de redonner aux hommes la clé des secrets que le temps a corrompus, s’ouvre sur la loi magique par excellence: les évènements terrestres sont étroitement liés avec les mouvements obscurs des astres. Les astres que déjà le philosophe Platon dotait du principe de l’âme en ceci qu’ils sont “animés” et qu’ils se meuvent de façon autonome dans le ciel, ont un effet sensible sur les aléas humains. La magie se constitue à la Renaissance et suite à la redécouverte de ce texte, comme la science des liens occultes qui scelle le devenir humain dans le mystère des mécaniques célestes.

À la suite de la traduction de Marsile Ficin et de la redécouverte d’autres textes anciens comme le Picatrix, texte arabe du Xème s. qui réveille en Occident un engouement pour la fabrication de “talismans”, les médecins de Cour qui, en sus de guérir les maux du corps s’investissent aussi du devoir de guérir les “âmes” et de rétablir les champs de forces propices aux désirs et activités des hommes, essaiment dans l’entourage des puissants. Leur fonction recouvre une palette assez vaste: du simple diagnostic d’une maladie à l’élaboration de remèdes expérimentaux, de l’établissement d’horoscopes et de prédictions concernant des décisions à prendre à l’élaboration d’images “magiques” destinées, en manipulant à l’aveugle les forces célestes, à faire dévier le cours du destin.

À posteriori, et c’est là le lot de la thanatopraxie posthume, on retient le règne de Catherine de Médicis comme une période mouvementée, ensanglantée par les guerres de religion qui menacent l’unité du Royaume et que le massacre de la Saint Barthélémy marque d’une horreur sans précédent.

Pourtant, et c’est peut-être participer à la réhabilitation de son génie politique trop longtemps recouvert par l’image d’Épinal d’une Reine adonnée aux sorcelleries les plus perfides: depuis la mort funeste de son mari Henri II en 1559 (tué lors d’un tournoi, une lance dans l’œil lui faisant souffrir une agonie d’une dizaine de jours) et investie de la Régence du Royaume en même temps qu’elle s’imposa un deuil perpétuel (elle devint cette femme vêtue de noir), Catherine tenta par tous les moyens de faire régner la tolérance et la liberté de conscience.  Un premier Édit, promulgué en 1562, autorise la liberté de culte pour les protestants en France. Pour sceller une paix durable avec les catholiques, la Reine force la main en proposant sa fille Marguerite (la célèbre reine Margot) en mariage au prince protestant Henri de Navarre (futur Henri IV).

Pendentif de Catherine de Médicis dit “l’autel de la Concorde”, 1571, Cabinet des Médailles de la BNF.

En 1571, elle demande à un orfèvre, un certain François Dujardin, de réaliser à partir d’une pierre des plus fragiles, une émeraude extraordinairedont on ignore encore si elle provenait de la dot florentine de la reine ou si elle avait été offerte par Moctezuma à Hernan Cortés, puis réofferte comme présent diplomatique par Charles Quint-un bijou à la symbolique marquée: un “autel de la concorde” afin de faire valoir une politique de conciliation dans le Royaume.

Dans le cahier des charges, Catherine explique à l’artisan la symbolique de ce bijou:” L’émeraude est pierre fragile qui se casse aisément et il y a deux mains qui signifient une foi qui enserrent l’émeraude, et il faut un mot qui dise que la foi et l’amitié que désire celle qui donne cette bague ne sont comme la pierre, mais comme les deux mains qui sont inséparables

Catherine de Médicis, pétrie de néoplatonisme qui lui vient de son aïeul Laurent Le Magnifique, entend, suivant les lois hermétiques qui relient le micro-et le macrocosme, faire fleurir l’harmonie dans le gouvernement terrestre de son royaume.Ce pendentif, conservé aujourd’hui au Cabinet des Médailles de la bibliothèque nationale, en témoigne à la manière d’un talisman politique: garant du désir du pouvoir d’une paix certes fragile comme l’émeraude, mais qui grâce au talent de l’orfèvre, illumine au centre comme un astre la réconciliation des forces qui s’opposent et qui finissent par se donner la main en guise de fiançailles.

L’histoire ne tarde pas à délivrer la suite: le 18 août 1572, Marguerite de Valois épouse Henri de Navarre dans la cathédrale Notre-Dame. La fête est rutilante et dure plusieurs jours. Marguerite écrit dans ses mémoires: “Nous étant ainsi mariés, la Fortune, qui ne laisse jamais une félicité entière aux humains, changea bientôt cet heureux état de triomphe et de noces en tout son contraire”.

Six jours plus tard, on ne peut que se résoudre à penser que”ce qui est en bas n’est pas comme ce qui est en haut”:  le massacre des protestants éclate en France, le jour de la Saint-Barthélémy…

Le massacre de la Saint-Barthélémy à Paris, François Dubois, 1572-1584.

 

Le talisman cabbalistique plus occulte de la Reine

Le pendentif de l’autel de la Concorde a avoué son inefficacité: la science des talismans est difficile et ce n’est pas peu d’étudier les livres, encore faut-il réussir à faire coïncider les forces d’en haut avec celles d’en bas suivant des rituels fort complexes où l’alignement des astres dans le ciel servent le passage des forces et des esprits qui les gouvernent.

Un autre objet, aujourd’hui disparu, témoigne du désir plus personnel de Catherine d’attirer les puissances célestes et de les faire servir à ses projets. Ce bijou connu sous le nom du “talisman de Catherine de Médicis” et dont il nous reste une gravure assez complète, est une médaille très étrange avec un avers et un revers:

                                                                    “Le Talisman de Catherine de Médicis”

 

“Talisman”: étymologiquement (le mot vient de l’arabe), cela veut dire “complétude, achèvement”. C’est un objet en alliage métallique-le plus souvent une monnaie, un sceau, une médaille-qui se définit comme un piège à forces: forces et puissances qui émanent des “esprits” des planètes et que les mages capturent dans la matière suivant des rites et des invocations précises. Le talisman a à la fois une nature active (il oriente et force le destin suivant le désir de son possesseur) et une nature passive (il est une relique de protection) est souvent recouvert de figures énigmatiques et de “charactères”(signes indéchiffrables laissant supposer la marque d’une intelligence supérieure). Souvent, des inscriptions en plusieurs langues (latin, grec, hébreu) révèlent la volonté combinatoire de retrouver la langue opérative et sacrée d’une unité du monde d’avant  Babel.

Cette gravure conservée à la BNF atteste d’un objet mystérieux dont les légendes forcent le trait: fondu en métal avec du sang humain et de bouc, cette médaille magique aurait été portée par la Reine toute sa vie durant en même temps, dit-on qu’une peau d’enfant écorchée semée de figures cabbalistiques.

Tentons de redonner une dimension sensible à cet inextricable écheveau de fantasmes et de fantômes que le temps semble avoir figé une fois pour toutes dans la légende, à l’instar d’une Reine considérée comme l’incarnation machiavélique de la noirceur.

Ceux qui connaissent la littérature magique savante de la Renaissance, reconnaitront sans difficulté sur la médaille des figures extraites des deux grands livres qui font autorité alors dans l’art des talismans: Le Picatrix, ouvrage arabe du Xème s. et le De Occulta Philosophia (La Philosophie Occulte) de Cornélius Agrippa, publié en 1533 juste avant sa mort, en France.

Le “De Occulta philosophia” nous renseigne sur les figures qui y sont gravées:

-sur l’avers du talisman, on reconnaît Jupiter couronné portant le sceptre de la royauté divine et assis sur un aigle (Ganymède, son ancien amant promu à la charge d’échanson de l’Olympe). Lui fait face une curieuse figure : une femme à tête d’oiseau tenant dans sa main droite une flèche et tendant au Dieu un miroir convexe.

-sur le revers, on reconnaît Vénus au centre, déesse de la séduction et du désir qui s’incarne; elle tient un coeur (en réalité il s’agit d’une pomme)dans sa main droite et un peigne dans la gauche.

Le même ouvrage nous informe de la fonction de la figure de femme-oiseau qui crypte en vérité un avatar de Vénus: “l’image pour les opérations de Vénus est propice pour attirer l’amour; elle se réalise à l’heure où son ascendant est en poisson et prend la figure d’une femme à tête d’oiseau et les pieds d’un aigle, tenant une flèche dans la main”.

Quant à l’image de Jupiter, c’est le Picatrix qui nous révèle:”si vous souhaitez être estimé par les officiels et les juges (les puissants), faites sous l’influence de Jupiter la forme d’un bel homme aux grandes robes chevauchant un aigle à l’heure de Jupiter quand la planète est dans son exaltation. Les fonctionnaires et les juges apprécieront ceux qui portent cette image avec eux”.

L’image de Vénus au revers est également décrite dans le Picatrix: “la forme de Vénus est celle d’une belle jeune fille,les cheveux épars,  ayant un peigne dans une main et un fruit dans l’autre”.

Le sens en apparence obscur du talisman s’éclaire ici: il s’agit pour la Reine d’attirer l’influence bénéfique de la planète Jupiter (qui préside au pouvoir, à la reconnaissance, aux honneurs, à la poursuite de la dynastie: et on sait la menace de stérilité qui pesait sur elle les dix ans qui précédèrent la naissance de François II, l’héritier mâle de la couronne), une influence opératoire et “capturée”, conservée par la puissance de Vénus (qui accorde, fécondité, liant et attraction).

Les inscriptions qui étoilent la médaille ont été pour la plupart déchiffrées à l’aune des livres ci-cités: on retrouve le nom prêté aux anges qui président à la planète Vénus (“Hagiel”,”Haniel”), le nom du démon Asmodeus (“Asmodel”)qui préside aux invocations de la goétie (sorcellerie) et en augmente l’efficace. Parmi les phrases hébraïsantes qui entourent la médaille comme un cadre, l’une d’elles retient particulièrement notre attention: sur le revers “NECHAR OPRIBAL” qui est une corruption de l’hébreu “Nechar Hofer Baal” soit: “de (la femme) étrangère préserve mon époux”. Et l’on ne connaît que trop l’ascendant de la maîtresse d’Henri II, Diane de Poitiers, dont Catherine eut à souffrir, toute sa vie durant, l’occulte empire…

 

On estime aujourd’hui que ce talisman fut réalisé par Jean Fernel (médecin et astrologue) avec l’étroite participation rituelle de la Reine entre 1551 et 1554. À cette époque encore, l’avenir laissait présager tous les possibles. Catherine avait enfanté des héritiers pour le Royaume et son mari n’avait pas encore rencontré sa fin funeste. Qu’elle le porta jusqu’à sa mort en 1589 ou non, peu importe finalement puisque les horreurs qui se succèderont et dont l’histoire aujourd’hui rassemble les pièces occultes, redouble la part de mystère qui préside à l’étrange coïncidence des désirs humains et du destin.

Signature de Catherine de Médicis

 

Comme le rappelle le “De occulta philosophia”: “les propriétés des noms sont les indices des choses mêmes, à la manière d’un miroir”♦

 

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