Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

C’est un travail photographique documentaire autour de “l’îlot Chalon”, un nom qui n’a plus cours pour désigner ce qui fut peut-être la dernière Cour des Miracles de Paris: situé à proximité de la Gare de Lyon et de la rue de Chalon, ce “quartier” encaissé dans le XIIème arrondissement, percé de passages sinueux hérités du XIXème s., est devenu dans les années 80 la terre d’asile d’une population bigarrée d’immigrés, de punks, de prolétaires et de parisiens en rupture de ban.

                                             Rose, passage Raguinot

 

“Cœur urbain de la drogue” d’après la revue Paris-Match, ce territoire délaissé de la municipalité et de la police, deviendra une plaque tournante de trafics et un creuset musical pour des jeunes groupes comme la Mano Negra et les Négresses Vertes. Symbole surtout de la “réhabilitation” hygiéniste du centre de Paris, il sera à dessein oublié par politiques et urbanistes afin d’en chasser la population par usure…et désespoir. Ce sera donc non sans satisfaction que la Mairie observera le départ des dealers dans les années 80 vers Stalingrad et la Goutte d’Or.

                                                 Passage Brunoy

 

Le “passage Brunoy”, la “rue Raguinot”, le “passage Gatbois”, la “rue de ChaIon” :autant de coupes-gorge qui deviendront inacceptables aux yeux des pouvoirs publics, désireux de rayer le quartier en lui substituant une Invincible Armada dédiée à la finance et à l’entertainment: le ministère des Finances, le palais omnisports de Paris-Bercy ainsi que l’extension de la Gare de Lyon.

Projet du palais omnisport de Bercy ouvert au public en 1984

 

Un palais dit “omnisport” rêvé aux abords du pont de Bercy et inauguré par Jacques Chirac en 1984 ouvre ce vaste projet de réaménagement urbain avec une architecture originale: l’extérieur recouvert de pelouses en pente recouvre une salle polyvalente sans murs porteurs permettant la transformation de la salle dans des délais très courts.

Une architecture modulable pionnière en la matière et qui résonne sans le savoir-c’est ironie- avec l’étoilement voisin extra-muros des forts défensifs conçus au XIXème s. par Adolphe Thiers et destinés à renforcer le mur de fortifications de la ville, désormais disparu:

Fort de Charenton, ouvrage militaire défensif construit sous Adolphe Thiers, 1842.

Des Forts de Thiers désormais affectés à des annexes des ministères ou à des centres de formation, passée leur sombre histoire d’internement de résistants durant la guerre, il reste, au sol:le tracé étoilé indélébile telles que les photographies aériennes nous le rendent aujourd’hui visible.

Une ceinture d’étoiles cerclant Paris comme autant de vestiges guerriers et militaires que l’on croirait volontiers désaffectés si ce n’est cette guerre moins tangible du rendement urbain et de l’expropriation des hommes et des usages au cœur des villes.

“Une ceinture d’étoiles”, d’astres invisibles ou bien tombés dont l’empreinte à terre poursuit le zodiaque historique d’une hantise presque imperceptible:

la réparation sans licence d’une voiture pignon sur rue à l’heure des contrôles techniques homologués obligatoires
Les après-midis passés à voyager d’un bout-à-l’autre d’un comptoir autour duquel l’ici et l’ailleurs briguent la noce

Mohammed, patron du troquet “le Chat Noir”

Tandis que le dehors réclame son tribut de surveillance, son sacrifice à l’éternel retour et ses parades, ses redites…

Des policiers font la ronde passage Brunoy

Et que les publicités urbaines sursautent d’imprécations incantatoires, de talismans, de maléfices…

Dans le sommeil des chantiers qui réveille les froids sorciers du calcul et du rentable, de l’exil des hommes et du désert…

  Le chantier derrière la gare de Lyon


passage Brunoy

Étoiles au firmament du trottoir d’un enfant comme l’ultime terre d’asile au jeu gratuit de l’existence,
étoiles murmurantes dans le hors-champ des murs murés d’un hôtel aux nuits bradées qui ricoche malgré la mort dans le ciel retrouvé par un sourire

Alors…Avant que l’aube funeste d’une ville qui nous exclut ne vienne effacer tout-à-fait jusqu’au soupçon de notre histoire, il va falloir trinquer à l’étincelle

L’étincelle qui nous habite, nous qui habitons la ville.
L’étincelle qu’on allume à l’intérieur des cœurs et des histoires qui nous traversent sans que s’en inquiète l’écriture officielle de la poursuite de l’Histoire,
L’étincelle qu’on croit éteinte puisque plus aucun relief ne le traduit ou ne le garde, puisque tout a été détruit…

…Exceptée la survivance magique des Vestales:

Dont le recueil photographique “L’îlot Chalon : Chroniques d’un quartier parisien de 1986 à 1995″ de Francis Campiglia participe de la ferveur, de la lumière et du combat.

 

 

 

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