On l’a oublié…
Vue du Louvre depuis le Pont-Neuf, 1839
Henri IV avait rêvé le Pont Neuf, mitoyen de sa résidence du Louvre, sans aucunes maisons afin de dégager la vue et d’ouvrir la perspective sur la Seine-grande nouveauté à laquelle, entre autres, le Pont Neuf doit son nom en dépit du fait qu’ll soit en vérité le plus ancien de la capitale.
Deux siècles plus tard, en 1839, la chambre photographique d’un inconnu postée à l’étage d’un opticien de la place du Pont-Neuf retourne la perspective souveraine et fige le palais royal désormais désaffecté, derrière lequel on ne devine guère le château des Tuileries que la Commune de Paris détruira 30 ans plus tard.
Le fantôme de celui qu’on appelait “L’Homme rouge des Tuileries” rôde encore aux alentours…spectre vengeur du fabricant de tuiles que Catherine de Médicis avait fait arbitrairement assassiner pour dégager l’espace sur lequel bâtir sa future demeure-dont le nom “Tuileries” scelle un talisman de mémoire-, il réapparaît aux moments critiques der l’histoire du royaume et toujours pour annoncer des drames.
Caricature de l’homme rouge des Tuileries, 1814
Du XVIème s. jusqu’en 1871 où il disparaîtra dans les flammes du palais que le Feu vengeur du siège de la Commune réduisit à néant, le spectre de l’Homme Rouge serait apparu à de nombreux souverains, de Marie de Médicis à Napoléon.
…Il apparut la nuit du 14 Mai 1610 quand Henri IV expirait sous le couteau de Ravaillac; à nouveau, il était là comme un présage de la Fronde sous la régence d’Anne d’Autriche. Le lendemain du départ de Louis XVI pour Varennes, on aperçu l’Homme Rouge allongé sur le lit du Roi.Quelques années plus tard, en pleine Terreur, on raconte qu’un soldat chargé de veiller le cadavre de Marat aux Tuileries…mourut de frayeur en le voyant.
Le spectre était familier de Napoléon qu’il aurait visité la première fois lors des campagnes de Russie et que l’empereur revit à certains moments-clés de l’Empire.
L’Homme Rouge arrête les derniers efforts du tyran et la mort lui montre le seul chemin ouvert pour sortir de son exil, caricature, XIXème s.
Sous la Restauration, des témoins disent l’avoir vu quelques jours avant l’assassinat du Duc de Berry. Il apparaît à Louis XVIII sur son lit de mort.
Quelques années après la disparition des Tuileries, en 1885 et alors qu’il rédige un ouvrage consacré aux légendes de Paris, l’ethnologue Paul Sébillot part à la recherche des vieux gardiens du Louvre pour vérifier si l’Homme Rouge sévissait encore dans le récent musée national: ne pouvait-il pas avoir déménagé et désormais facétieusement hanter le terrain neutralisé de la guerre froide du Patrimoine?
“Philosophe par le Feu”…L’Homme Rouge avait bel et bien disparu depuis l’anéantissement par le Feu de la demeure pour laquelle on l’avait jadis fait périr…
Incendie du Palais des Tuileries durant la Commune de Paris
Mais à Paris, les fantômes n’ont pas tous figure et chair et c’est ce que des siècles de démonologie nous apprennent: les spectres, les démons ont pour véhicule l’air et force de condensations et de sublimations, s’évaporent puis reviennent.
Aussi sont-ils partout comme nulle part, ici et bien ailleurs, traversant le temps et les Carrières, soufflant l’air vicié des mines où étincellent dans l’ombre les cristaux.
Une typologie des démons suivant le dictionnaire infernal de Collin de Plaincy, 1818.
“Tempestaires” lorsque le souffle vient à manquer et que l’histoire devient irrespirable, ils échappent -malgré les sommes théologiques qui entendent les forclore-à toute mise en fiole.
Au grand dam de l’elixir tant vanté de Marcel Duchamp
Air de Paris, Marcel Duchamp, 1919.