Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

Nous sommes au cœur du Paris marchand: les Halles où le marché implanté depuis Philippe Auguste côtoie le grand cimetière des Innocents au centre de la ville médiévale.

Le “trou” des Halles en 1858 lors des travaux de réaménagement de Davioud

Sous le règne de Phillipe Le Bel, Paris est une ville au commerce florissant: allers-et-venues de marchands, de pèlerins et de voyageurs en tous genres concourent d’un mouvement intraçable pour lequel la taverne devient un creuset de rencontres, de transactions et d’échanges de toutes espèces.

De fait, les taverniers et marchands de vin exercent le métier le plus répandu dans le Paris de cette époque si nous en croyons les archives fiscales de la capitale.

Encore aujourd’hui, de nombreux cafés ourlant la proximité de Châtelet-les-Halles attestent de cette tradition que tourisme et virtualité des transactions contemporaines relègue à la vitrine d’Épinal:

Pourtant, il faut le croire, la taverne dans Paris  -le troquet, le tapis-franc et plus tard le bistro- prolonge un curieux zodiaque de réunions interlopes et d’ivresses prolongées que le couvre-feu nocturne et les dangers inhérents, faisaient apparaître comme des enclaves de “sauveté” comme autrefois les terres d’asile ou repris et fugitifs tenaient royaume.

Autant de lumières pâlissantes à la faveur des chandelles et des visages dont l’excès de vin asséchait la teinte, autant de vigies qui ne sauraient rivaliser aujourd’hui avec notre “pollution lumineuse” triomphante et qui à l’époque déclinaient tout un arpège d’étincelles urbaines comme les lanternes des morts veillant le repos des morts dans les cimetières.

À Paris au XIVème s., c’est indéniable: les hommes se retrouvent à la tombée du soir à la taverne…

 

 

Et boivent à grandes lampées les vins d’île-de-France que l’on produit aux alentours.

 

 

 

 

 

Les sources historiques restent plus réservées sur la consommation des femmes.

Un document nonobstant, fantastique par sa singularité, nous montre des femmes qui font bombance dans une taverne de Paris: Le Dit des trois Dames de Paris, écrit par Wautriquet de Couvin, ménestrel de profession. Nous sommes en 1320…

Le poème lève le voile sur le tabou de l’ivresse féminine. Mais s’il s’attache à raconter la saoûlerie de trois amies qui se retrouvent à la taverne en cachette de leurs maris ce n’est pas un souci ethnologique avant l’heure qui meut le poète mais bien une condamnation morale et sans appel.

Le Dit raconte comment trois femmes se retrouvent dans un troquet des Halles et font bombance. Leurs maris, restés à la maison, les croient parties en pèlerinage.

Les descriptions fulgurent, comme prises sur le vif, c’est du vécu: “Il fallait les voir jouer des dents, emplir et vider les hanaps (…) en un clin d’œil, trois chopines furent vidées”

Les trois amies rivalisent d’émulation et multiplient les tournées: “Ce méchant pot de vin est trop petit, dit Marion, par Saint Vincent!”

Les appels au tavernier sont transparents : “Que mon pot soit plein jusqu’aux bords!”

Le poète réserve toutefois le suspens: “Chacune se met en devoir d’engloutir son pot de grenache et personne ne pourrait croire comment elles s’y employèrent

Mais le couperet tombe prestement: l’excès d’alcool finit par plonger “les trois Dames de Paris” dans un état de coma éthylique. Au petit matin, on les croit mortes.

On va les porter au cimetière voisin des Innocents où on les enterre…vivantes, donc!

La nuit suivante, elles se raniment dans leur tombe elles se croient encore à la taverne.

…La taverne qui convoie leur dernier souffle vers la gueule de bois qu’est le Jugement tant redouté au Moyen-Âge.

Morale sans appel, prévention cruelle: “femme qui boit se réveille dans sa tombe”.

Un tabou toujours d’actualité...♦

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