« Il n’est pas vraiment de Paris celui qui n’a pas fait l’expérience de ses fantômes »
(Jacques Yonnet, Enchantements sur Paris, 1954)
Les Villes Invisibles
Paris
Non pas une ville mais : des villes… sans nombre.
Des villes invisibles, comme des fantômes : les villes vécues et les rêvées, les villes passées dans le regard de qui traverse et que, qui a traversé… a oubliées.
Les villes : les Paris des premières nuits dans les Lutèces marécageuses, les villes des nuits qui se poursuivent à l’horizon féodal des invasions, des jacqueries et des cent ans de crues et de combats dont la Seine se fait linceul, les Paris à feu, à soif, à cœur des arrières-cours de réunion où s’allume l’étincelle d’une insurrection, les villes des nuits que le gaz allume à l’ombre d’un réverbère où Nerval s’est rendu, les nuits des faubourgs où l’on tire le rideau et on allume la bougie, le clair-obscur des colères, le plomb des barricades, la marée basse et le reflux.
Des villes derrière la ville où des façades factices devinent le théâtre, des villes sous la ville et dans l’impensé des Catacombes, des villes se superposant à la ville; invisibles ou peut-être trop discrètes pour creuser le regard, elles poursuivent un dialogue facétieux, polyphonique, charivaresque : musical.
À l’insu de qui sait lire-comme jadis les enseignes sur les façades semaient de facétieux rébus d’images destinés aux illéttrés-Paris réveille la corde de l’ambivalence et joue le temps comme une musique.
Au grand dam de la géologie qui rationalise et sédimente, un palimpseste se fait jour et vient percer le réel de rencontres inattendues.
Paris-Sortilèges est le lieu de ces rencontres.
Précis d’occultisme urbain
Aventure de long cours et d’abordage, Paris-Sortilèges décline depuis 15 ans de recherches, de collaborations, de rencontres et de surprises, une histoire de Paris à plusieurs voies dans laquelle s’allume le creuset d’un temps non-linéaire et d’une mémoire plastique : vivante.
Au carrefour de l’histoire, de l’ethno-poétique, de la prospective et de l’oracle, de la tradition savante et populaire, ésotérique et saltimbanque, Paris-Sortilèges entend réveiller une alchimie concrète à l’oeuvre dans la ville.
Réveiller : les sédimentations fantômes dans l’espace urbain et de la pensée qui façonnent de manière moins tangible que l’étalon de l’arpenteur les métamorphoses des reliefs, des usages et des croyances.
Ce sont des noms de rue, des métaphores figées par la langue ou même la pierre, des vestiges d’émotions collectives que l’oeuvre d’art finit par cristalliser sous le voile d’un geste qu’on arrête dans la peinture ou bien le marbre, c’est l’inconscient intangible d’une rue ou d’un quartier qui palpite à l’escorte des visages qui s’y succèdent.
Réveiller pour désenvoûter l’entreprise moderne d’une histoire écrite, figée et consommable dont la culture exauce l’idéologie et exploite le rendement. Désenvoûter pour ouvrir l’accès à une richesse imaginaire dont le mystère est l’expérience arpentable par chacun, la déambulation, la traverse, et parfois la pirouette et la dérive si chères aux danseurs et aux poètes.
Rappeler que Paris, loin des formatages des médiations et du tourisme, recèle des horizons restés vierges, des terres inconnues comme autrefois on les rêva dans l’au-delà des cartes du monde : des angles morts et nonobstant bruissant de récits et de mémoires où le regard n’exerce plus le risque d’une rencontre.
Il s’agit d’inviter notre regard à découvrir l’invisible à l’oeuvre dans la ville : un invisible souvent sensible derrière un masque infime à retourner et sur une Scène à double sens comme la Seine nous le rappelle.
Travailler à devenir “voyant” comme nous l’a soufflé Rimbaud dans sa lettre restée célèbre et voyant, se découvrir une liberté de parcours dans le temps comme dans la ville : renouer avec un art de la marche qui, à l’unisson de la pensée et des correspondances qu’elle y féconde, recompose les visages infinis de Paris sous le prisme d’un théâtre de la mémoire tel qu’à la Renaissance les cabbalistes le rêvèrent.
C’est ainsi renouer avec une puissance magique de traverser l’espace, le temps et les images, les récits, les fantômes qui s’y déposent: Paris s’est construit dans ce déplacement constant, loin de la perspective linéaire de l’urbanisme et de l’histoire.
Paris-Sortilèges propose des visites exclusives de certains quartiers de la capitale, portées par cette richesse de temps mêlés, de voix plurielles. Sur la trace des fantômes, des hantises, des talismans, des sortilèges qui se poursuivent dans la ville, parfois sous d’autres masques et nonobstant traversés par de lointains archaïsmes, les visites creusent le relief de pierre pour en révéler la chair et tenter ainsi de révéler une continuité fragile et cependant vivante au cœur d’un invisible rendu sensible.
Les gestes et leurs vestiges reviennent alors comme reflux et étreignent dans un éclair la fulgurance du regard qui les traverse. Les éléments les plus discrets révèlent leur densité et nous invitent à lever les yeux ou à baisser la tête sur le sol qui se découvre étinceler d’astres oubliés:des mythologies attendent leurs Perséphones et leurs entrées des Enfers, leurs Prométhées et leurs autels, leurs feux secrets et leurs Vestales.
Les lois magiques de correspondances dans l’univers gageaient jusqu’à la Renaissance que « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », faisant de l’association, de la métaphore, de l’analogie les clés secrètes d’un parcours inachevé au sein du mystère d’une création toujours en cours.
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » : en inverser le cours était alors l’essence du Carnaval.
♦L’espace est la liberté de ceux qui voient : le temps est leur issue♦