Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

“Fantôme” ou bien plutôt “Phantôme” si l’on se veut au plus près de l’étymologie, grecque (Phantasma) qui dérive du verbe “Phanein”( voir, faire apparition) : le “fantôme” comme le “fantasme” est une effraction du voir qui vient faire vaciller la certitude apprise des habitudes répétées de notre observation des choses.

Image trompeuse pour certains produite par un accident de perception ou une hallucination, indice étrange en quête de signification pour d’autres, les apparitions de fantômes sont porteuses des craintes et des espoirs, des émotions souvent confuses qui agitent les vivants.

À Paris, les fantômes refluent à chaque époque, charriant leurs vœux informulables, leurs avertissements et leurs présages. Depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à l’ombre plus actuelle des traçabilités techniques optimisées, ils redisent la faille et l’accident au cœur de l’entreprise humaine du savoir, infiltrant le doute et détricotant les certitudes. Figures interstitielles, elles ouvrent la frontière qui sépare le visible et l’invisible et rappellent la solidarité profonde qui lie les morts et les vivants, le regard et l’inerte apparent. Figures de l’écart aussi, les fantômes déplacent les perspectives artificielles et ensauvagent la pensée, à l’heure, toujours où cette dernière semble le plus assise.

“Fabriqués” ou surnaturels, issus du folklore ou bien de l’égrégore de l’air du temps, littéraires ou populaires, les fantômes que l’on retrouve à Paris instruisent sur un mystère qui dépasse la plate question de la croyance: ils questionnent la matière mouvementée et dynamique de l’imagination des hommes où viennent s’agréger avec le temps les luttes et les étreintes, les émotions et les souvenirs, le familier et le lointain.

Des apparitions de fantômes didactiques à visée morale

Durant le Moyen-Âge en Europe, le nerf politique d’administration des hommes passait par l’étalon de la religion: au centre, parfois occulte, du pouvoir terrestre présidait l’affaire du gouvernement des âmes. À cette fin, les images artistiques peintes dans les églises mais aussi sur les Livres d’Heures se devaient d’agir subliminalement sur les consciences: dépeignant les grandes fresques hagiographiques de l’histoire des Saints et de leurs miracles ou avertissant à renfort de grands effets, des souffrances et des tortures posthumes des âmes damnées en Enfer ou au purgatoire, les images devinrent l’instrument par excellence de modelage des comportements et de gage d’obéissance.

“Pictura est quaedam litteratura illiterato”: “l’image est le livre de l’analphabète”: depuis le réquisitoire de St Grégoire au IXème s. afin de sauver la production artistique du soupçon d’idolâtrie que font peser les arguments iconoclastes, l’image engage en Occident une carrière intéressée : parce qu’elle marque la mémoire des hommes et qu’elle sert de véhicule aux émotions, mieux que les lois, elle infiltre leurs désirs et oriente leurs actions. “Magique” au sens strict, elle opère un détournement de forces et d’influences: ainsi devient-elle l’enjeu d’une guerre secrète et invite sur le front fantôme d’apparitions et de cortèges terrifiants, des hantises qui se veulent efficaces, créant des peurs optimisées qui n’ont plus besoin d’être motivées.

La Danse Macabre peinte en 1424 au cimetière des Innocents, gravée par Guy Marchant en 1485.

Les œuvres d’art, les récits et le folklore en gardent les traces: la grande Danse Macabre peinte sur le charnier des Innocents aux Halles au XVème s. mais aussi les Visions de Tondal et les cortèges nocturnes de la “Mesnie Hellequin” déroulent le fondu enchaîné de hantises terrifiantes et bien sensibles.

Le fantôme “pédagogue” d’un évêque

À Paris, les plus lointaines apparitions de spectres qui nous parviennent font étrangement écho : en 1238, un évêque mort dans l’année, apparaît à ses collègues venus chanter mâtines en l’église de Notre-Dame. Il leur rapporte témoignage de l’Enfer où son âme damnée souffre mille peines et les exhorte à ne pas suivre son exemple “d’avarice et de lubricité scandaleuse” du temps qu’il était vivant.

Le “pacte post-mortem” d’une bande d’amis

Publicité du Cabaret de l’Enfer, boulevard de Clichy, fin XIXème s.

 

Ce qui se passe dans l’au-delà tourmente beaucoup les consciences au Moyen-Âge: il est alors courant que les personnes de leur vivant fassent entre eux un pacte qui consiste pour le premier d’entre eux qui viendrait à trépasser, à revenir témoigner auprès de ses amis des châtiments ou des délices qu’il éprouve après la mort. Au XIV ème s, c’est un chapelain qui apparaît après sa mort à ses amis…et il revient tout droit des flammes ardentes des Enfers. Sur sa paume, on pouvait lire: “Sathanas mercie moult les prélats et les princes de la terre de la perdition de leurs peuples”.

Le fantôme d’un ventriloque au service rentable de la messe

Au XVIIème s, l’écrivain et chroniqueur Tallemant des Réaux rapporte dans le recueil fourni de ses célèbres Historiettes une anecdote curieuse: il y mentionne un certain “Collet”, ventriloque de son état et demeurant au faubourg Montmartre qui, usant de son talent de contrefaçon vocale, faisait croire dans les églises à des fidèles venus prier qu’il était un spectre quémandant des messes (alors payantes) pour les âmes du purgatoire. Mystifiés par la force surnaturelle d’une telle demande, les fidèles s’exécutaient, renflouant d’une pierre, deux coups les caisses de la paroisse et la rente du curé.Tout laisse croire dans cette histoire, que le saltimbanque était de mèche avec le prélat qui peut-être l’avait d’ailleurs “embauché” afin d’arrondir ses fins de mois.La dématérialisation du trafic d’indulgences inaugure ici un système D dont la fortune ira croissant.

Croques-mitaines : la fabrique nocturne de l’obéissance

Le “Croque-mitaine”: un spectre terrible, “mangeur de doigts”, que les parents invoquent à la faveur de la nuit tombante pour faire peur à leurs enfants et ainsi les rendre plus sages (et les inciter notamment à arrêter de sucer leur pouce). On le retrouve dans toutes les cultures européennes au Moyen-Âge et jusqu’au XXème s. encore dans les campagnes. À la lisière du réel (les enfants y croient) et de la fiction (les adultes ne sont pas dupes), comme le Père Noël créé un peu plus tard dans le but platement économique de relancer la consommation en période de fêtes, le Croque-mitaine est une fabrique imaginaire de toutes pièces à destination de normalisation des comportements. Fantôme imprécis, aux attributs suffisamment mal définis pour servir de toile de projection  et de surenchère aux peurs les plus intimes de chacun, il apparaît la nuit sous la forme d’un homme ou d’une femme, voire d’une créature fantastique. Des personnes réelles et vivantes endossent parfois le rôle et se déguisent sciemment pour confondre les incrédules. “Mère Foutarde” dans le Dauphiné, “Barbecuge” en Gascogne, “le bonhomme Misère” en Anjou:  à Paris, on le retrouve sous l’aspect du “moine bourru”,

un spectre effrayant vêtu comme un moine avec un manteau de bure et une capuche et parcourant la nuit les rues de la ville, s’attaquant aux intrépides noctambules qui passaient outre le couvre-feu (à l’époque, le crépuscule sonnait le couvre-feu, l’arrêt du travail faute d’éclairage et la fermeture des portes de l’enceinte de la ville).

Dès lors, les parisiens se gardent bien de sortir de leurs maisons, les rues deviennent le territoire inquiétant que se partagent les fantômes et les filous. Les quelques bourgeois du guet préposés aux rondes de nuit, apeurés, engagent des saltimbanques pour faire une musique qui ressort plus du bruit, dans l’espoir naïf de dissiper la menace, de conjurer le sortilège.

“Moine bourru dont on se moque, à Paris: l’effroi des enfants”: le Moine bourru devient proverbe. Il hante toujours les bas-fonds littéraires.

Fantômes de bric et de broc à visée édifiante

Les parisiens du Moyen-Âge  eurent-ils conscience d’être l’enjeu contingent d’une lutte de pouvoirs trop humaine qui s’adjoignait de temps à autre quelques effets de théâtre stupéfiants? L’histoire marginale des influences et des usages, des réappropriations et des déflagrations nous force à prêter à l’histoire une vertu facétieuse et subversive qui, si elle n’est le fait des hommes eux-mêmes, s’invite parmi eux et déplace les accessoires, rebattant les rôles.

Ainsi va-t-il d’une autre “catégorie” de fantômes parisiens dont instruisent de nombreux témoignages, toujours au Moyen-Âge et jusqu’au XIXème s:des fantômes “fabriqués” en carton-pâte tels qu’on les retrouvera à la Belle Époque sur les scènes à trappes des théâtres et sur le fronton en stuc des entresorts des cabarets. À la faveur d’une obscurité nocturne alors propice aux mystifications et avec le renfort de quelque bricolage sonore digne des charivaris carnavalesques, quelques pauvres hères en quête d’audience ou de pitance, contrefont les spectres à des heures indues et réveillent ainsi tout un quartier.

•Le faux-fantôme du coutelier des Halles

C’est le cas en 1594, en pleine guerre de religions, au cimetière des Innocents à Paris; chaque soir, les riverains s’affolent: ils entendent la voix terrible d’un esprit proférant au milieu des fosses où les cadavres se tortillent. Un bruit semblable au tonnerre grondant l’escorte et le dissipe. La profération spectrale a pour particularité d’être parfaitement articulée et transparente: elle enjoint le peuple parisien à tuer les dirigeants et à ne pas recevoir le roi Henri IV dans Paris.(c’est l’épisode du Siège de Paris qui se clôtura le 22 Mars 1594 par l’entrée triomphale d’Henri IV dans Paris “Paris vaut bien une messe”).

Les apparitions répétées du fantôme font l’effet d’une traînée de poudre: bientôt, la ville entière accourt chaque soir au cimetière, on se persuade et spécule sur le miracle. Mais la voix se faisait jour après jour de plus en plus distincte…d’où provenait-elle? On ne tarda pas à le savoir: c’était un ouvrier coutelier du quartier des Halles qui se cachait le soir sous une tombe et plaçait sa tête dans un chaudron pour déformer sa voix et parfaire l’imposture. Son message politique dès lors perdit de son efficacité: on s’empressa d’arrêter le faussaire de fantômes qui poursuivit d’exercer son art dans les geôles obscures du Châtelet.

À raison Rabelais dira: “Paris est une bonne ville pour vivre, mais non  pour mourir car les Gueux(du cimetière) des Saints Innocents se chauffent le cul sur les ossements des morts”

Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

·Les contrefaçons des voleurs et des filous: une “Cour fantôme des Miracles”.

Jusqu’à la diffusion de l’éclairage au gaz puis électrique et l’invention technique de la reproduction d’images virtuelles, photographiques, jusqu’au XIXème s,le décor urbain est une camera oscura à ciel ouvert qui se prête aux mises en scène les plus mystifiantes. Déjà, dans les demeures privées des cabinets des princes, les ingénieurs, illusionnistes et artistes s’étaient exercé à l’art baroque du trompe l’œil et des perspectives enchantées, déroulant sur fond d’apparitions extraordinaires des jeux de miroirs et de reflets que l’optique naissante rendait possible via la lanterne magique et l’illusion picturale via les jeux de profondeur, le clair-obscur et l’anamorphose.Ces mises en scènes curieuses servaient la délectation de l’entourage privé de quelques puissants, pris de fascination par l’exotisme de l’étrange et du jamais-vu qu’avait réveillée la découverte du monde et l’exploration des contrées les plus lointaines.

La lanterne magique, inventée au XVIIème s. effraie des générations successives avec des projections d’images  terrifiantes, nourries de l’imaginaire d’alors et qui semblent, pour les gens de l’époque, bien réelles.

Le public profane ignorait tout alors des ressorts techniques rendant possibles de telles merveilles et l’effet surnaturel était de mise: quoi de plus lointain et d’inexploré que l’au-delà, quoi de plus étrange que les fantômes qui en reviennent?

Dans le registre plus contingent de la vie quotidienne des pauvres parisiens faite de misère et de survie au jour le jour, les mises en scènes curieuses prennent d’autres tours: l’amusement n’y est plus gratuit, la mystification y sert de plus obscurs intérêts. C’est le cas de nombreuses apparitions de fantômes qui se font chez des bourgeois: leurs laquais ou des compères de ceux-ci, contrefont les spectres afin de soutirer de l’argent au riche propriétaire. La maison “hantée” devient alors l’épicentre d’une narration stratégique: le fantôme réclame une somme d’argent pour effectuer des choses chrétiennes (pèlerinage, aumône, etc) afin de sauver son âme et in fine quitter les lieux qui le tiennent ensorcelé. Le laquais se fait l’intercesseur du spectre qu’il orchestre et sous couvert de prendre en charge l’exorcisme, dépense généreusement l’argent soutiré à son maître dans les tavernes du voisinage à la nuit tombée et en compagnie de quelques gueux de ses amis.

Dans la populaire “Histoire des Larrons” de François de Calvi publiée en 1624, l’auteur raconte l’histoire de Ravisio, le domestique d’un riche bourgeois parisien habitant près de l’église Saint Jacques de la Boucherie. Ravisio, profitant du fait qu’un voisin venait d’expirer dans son immeuble, alla voler une tête de mort au cimetière voisin des Innocents aux Halles: chaque nuit, vers minuit, posté au plus haut étage du logis, il “faisait un tintamarre étrange et d’un bruit épouvantable, tantôt il prenait un pot cassé et parlait d’une voix rauque, tantôt il feignait des mots inconnus, frappait, battait et éveillait tous ceux de la maison”. À chaque apparition, le fantôme demandait de l’argent pour délivrer son âme.À chaque fois, le bourgeois, pris de panique, donnait à son serviteur la somme pour réaliser le vœu du fantôme. Ravisio reproduisit sa lucrative manigance, feignant que le fantôme réclamait plus d’aumônes …jusqu’au jour où des amis du bourgeois, décidèrent de venir dormir dans la maison pour percer à jour le mystère de cette hantise nocturne: ils découvrirent alors le domestique en flagrant délit, drapé d’un drap blanc…et avec un crâne humain dans sa main.

Sarah Bernhardt en Hamlet, 1880-85

Il n’ a pas fallu attendre Hamlet pour comprendre que la mort était un accessoire de théâtre: à Paris, durant l’Ancien Régime, les lieux patibulaires d’exécutions publiques comme le Gibet de Montfaucon ou les échelles de justice clairsemées aux limites des fiefs des grands seigneurs étaient le rendez-vous nocturne de deux corporations de l’ombre: l’une, constituée de “sorciers” et de “nécromants” s’y rendaient nuitamment à la recherche de la fameuse mandragore, cette plante légendaire qu’on disait naître de la semence des pendus et accorder à qui saurait s’en emparer des vertus magiques les plus extraordinaires; l’autre corporation, plus interlope, était celle des “Gueux” et faux mendiants qui peuplaient les marges urbaines des Cours des Miracles, dont la plus célèbre occupait le terrain actuel de la place du Caire (IIème arrondissement): la nuit parisienne dressait alors le rideau d’une coulisse propice à leurs changements de rôles et c’est au pied des potences et des estrapades, qu’ils s’approvisionnaient en morceaux de cadavres afin de contrefaire le jour suivant, des plaies et des cancers exaucés par un surcroît indéniable de réalisme. Nombre de récits, en commençant par La vie généreuse des Mercelots, Gueuz et Boesmiens dudit “Péchon de Ruby” (un nom de code signifiant: “enfant du soleil” c’est-à-dire: initié à la fraternité d’Argot) publié en 1597 révèle, à l’image d’un traité d’escamotage débinant les tours de passe-passe des prestidigitateurs, les feints accessoires de cette troupe de théâtre marginale qui introduisit sur la scène mouvante et confuse des expédients de Paris, mainte fantasmagorie de bric et de broc à la seule fin contingente de survivre au jour le jour, à la faveur de la crédulité d’un bon passant. À la fin du XVIème s. à Paris, c’est le célèbre chirurgien Ambroise Paré qui consacre dans sa somme des Monstres et des Prodiges, un chapitre aux artifices des faux-mendiants qu’il rencontre malgré lui au gré des consultations des faux-malades qu’on lui envoie. D’autres opuscules de colportage, rédigés par les voix anonymes des filous eux-mêmes, viendront jusqu’au XVIIIème s. témoigner de ces illusions dignes des cabinets de curiosités des princes et qui transformaient Paris en trappe de scène où fantômes, pestes et épouvantes en tous genres forçaient le trait des craintes partagées à seule fin de survie économique des peuples de la marge.

·Esprits frappeurs “hors-les-murs”

À Paris, l’emplacement des nombreuses Cours des Miracles qui depuis le Moyen-Âge jusqu’au XVIIème s. ourlaient les bords mal famés de l’enceinte, se retrouvent aujourd’hui gagnés par le consensus des façades rénovées que des siècles d’expansion urbaine retrouvent désormais au cœur prisé de la capitale. Les fantômes s’en sont allés, plus loin toujours, hanter les frontières floues où la banlieue, toujours croissante et imprécise, remise entresorts, sortilèges  et points de fuites. Fantômes ou pauvres hères déclassés, gagnés par la précarité et la spéculation intra-muros, ils gravitent toujours à la limite comme les feux-follets aux bords du fleuve: ils vont, ils viennent au gré des rythmes pendulaires du travail que les convois crépusculaires des RER réexpédient chaque soir dans l’au-delà de la  ville où le commun imagine sans trop de peine la géographie inexplorée des Enfers.

Hantée, Paris l’est toujours par ces figures refoulées de l’effort de survivre au quotidien qui entrent au matin par la porte de la ville et qui en ressortent au soir fatigués comme des diables, courbés comme le destin. Les effets ne sont plus ceux feints par les fantômes bricolés des mystifications d’antan: l’électricité à gagné le ratissage des ailleurs et le visible est devenu l’arme du débinage universel et du contrôle.

Pourtant, se souvient-elle Paris de ses indésirables qu’elle destine encore “au diable Vauvert” par le truchement d’une formule que l’usage a gardé sauf?

Les ruines du Château de Vauvert

“Au diable Vauvert”: c’est-à-dire aux limites du Paris médiéval, dans le terrain de l’actuel jardin du Luxembourg où depuis le XIIème s. sur les ruines d’un château bâti par le roi Robert Le Pieux et jusqu’au XVIIIème s. au grand dam du palais de Marie de Médicis (actuel Sénat), esprits frappeurs de toutes sortes alimentèrent l’imaginaire des parisiens d’épouvantes les plus échevelées. Apparitions spectrales, effets de grand Guignol, charivaris bruyants qui laissaient croire à des vacarmes d’outre-tombe: les voyageurs qui s’égaraient dans les parages de cette limite de l’enceinte de la ville, revenaient avec des témoignages si confus qu’ils prêtèrent vite matière à la superstition et à la légende. Maléfique, l’endroit était hanté par le diable lui-même, et téméraires étaient ceux qui se risquaient à s’approcher du …Diable du Vauvert.

La réalité est moins mystérieuse quand bien même contingente: sur les ruines désaffectées de ce lieux dit, s’était avec le temps agglomérée toute une population de laissés pour compte. Une “Cour des Miracles”, un “squat” en quelque sorte: afin de perpétuer leur main mise sur cette terre d’asile, ils jouaient à effrayer qui les approchait afin de détourner d’avance toute tentative de les découvrir et les découvrant, de les déloger.

“Zone à défendre auto-gérée” ou “maison hantée”: le diable Vauvert poursuit d’alimenter l’imaginaire aux faubourgs de l’histoire jusqu’à ce que l’expansion urbaine inévitable ne vienne repousser plus loin, au XVIIIème s, les machines à fantômes qui savaient détourner, comme le maléfice jeté du mauvais œil, l’arrivée redoutée d’investisseurs avides et lotisseurs.

Bataille de chevaliers sur un terrain vague à Belleville dans le film Rue des Cascades, 1964

 

·Fantômes, maisons hantées… et droit locatif

La peur des fantômes vaut bientôt la réalité de leur présence: au XVIIème s.en France, les spectres font effraction dans l’espace juridique autour d’une question relative au droit locatif: depuis l’antiquité, le droit romain (sur lequel on se base toujours) stipulait qu’un locataire qui quitte son logement à cause d’une “juste crainte” (épidémie, guerre, etc.) n’avait pas à continuer à acquitter son bail. Mais à partir du XVIème s, le cas de maisons hantées qui se multiplient et que leurs locataires délaissent avant la fin de leur contrat, forcent le droit à envisager une nouvelle clause. Celle-ci est efficiente dès 1632 : on estime que la fuite d’un logement de la part d’un locataire à cause d’une “infestation d’esprits” est légitime. En 1585, déjà et en pleine hantise des guerres de Religion, Denis Godefroy dit avoir vu à Paris un locataire bénéficier d’une modification de son bail du fait de la crainte de fantômes.Au regard du droit, le fantôme devient une “juste crainte” au même titre que la peste et la guerre: il entrera bientôt sur la scène des théâtres de la ville et de la psyché, délaissant le hors-les-murs où le refoulement urbain le remisait jusqu’alors.

Les fantômes, comme les loups, sont entrés dans Paris…

Fantômes, Révolution et Prestidigitation

Le XVIIIème s. et son acmé de la Révolution française invite à Paris une fabrique à fantômes sans précédent.

Fantômes des victimes qui passent en accéléré sous le couperet de la guillotine comme bientôt les images fixées par l’obturateur de l’appareil photographique: quelque chose s’accélère, les fantômes se (re)produisent de manière mécanique et s’accumulent comme jamais entre deux mondes dont les frontières deviennent poreuses: celui de la politique et du spectacle.

 

·Les “Fantasmagories” à Paris de Philidor et de Robertson

 

La lanterne magique, procédé optique de projection via une lentille dans une chambre noire, d’images peintes sur le verre rétroéclairées à la bougie et , est inventé en Europe au XVIIème s. Popularisée par le savant Athanase Kircher puis par les bateleurs et colporteurs de vues ambulants dans les villes et les campagnes, l’instrument est pendant plus d’un siècle l’objet de mystifications diverses: les images qu’il projette, parce qu’on n’en comprend pas le soubassement technique, apparaissent comme magiques; les petites images peintes sur les plaques de verre, une fois projetées dans la salle obscure, parce qu’elles s’attachent à l’iconographie effrayante des danses macabres et des démons, elles effrayent des générations de dupes qui finissent par lui donner le nom de “lanterne de peur”.

Peu-à-peu, le mécanisme se complexifie et l’adjonction de plusieurs plaques de verre dont l’une reste fixe et l’autre devient mobile, permet l’illusion d’animation des projections d’images: c’est une genèse lointaine du dessin animé.

Squelettes qui dansent et bientôt guillotinés qui reprennent leur tête tranchée et qui ressuscitent du supplice s’invitent sur la scène hantée des tourments politiques de la Révolution française.

Arrêt sur image….

Déjà en 1760 à Paris, un médecin suisse, Philippe Curtius, passé maître en reproduction anatomique en cire des visages des célébrités de son temps, avait ouvert un cabinet théâtralisé où le public pouvait venir découvrir avec un réalisme confondant les traits intimes du faciès et des mimiques des princes et des leaders, des vedettes et politiques.Une mise en scène reprenant l’archétype conventionnel des portraits de Cour, “le Grand Banquet” permettait au public de pénétrer dans l’intimité de la famille royale dînant à Versailles en compagnie des grands dirigeants de toute l’Europe. Une autre, “La Caverne des grands voleurs” lui faisait face comme un miroir: les visages des grands bandits et assassins y étaient reproduits et mis en scène sur des mannequins, à partir des effigies réelles des cadavres exécutés de ces derniers.

Bientôt, la Révolution Française et son lot de têtes tranchées parmi les voleurs mais aussi les rois, prodiguera une occasion de renouvellement constant des mises en scènes du docteur Curtius, les  bustes des nouveaux dirigeants politiques soumis par la force de la Guillotine, à un changement aussi rapide qu’incessant….

Dans quelle mesure les figures de cire du docteur Curtius servirent d’inspiration à la pratique bientôt en série de la décapitation que permettra le mécanisme de la guillotine? Une chose est sûre, les têtes coupées sur l’échafaud serviront de modèle à un nouveau types d’effigies de cire:

L’effigie de cire de Marie-Antoinette décapitée par Marie Tussaud

 

 

Marie Tussaud, alors assistante et apprentie de Curtius, trouvera dans le modelage des effigies en cire des guillotinés d’après modèle, la matière de ce qui au XIXème s. à Londres deviendra le noyau de son célèbre musée, le “musée Tussaud” et…de sa célèbre “chambre des horreurs”.

 

 

 

 

Les violences de la Révolution et au premier rang la guillotine, cette nouvelle machine promue par un député, Guillotin, comme un progrès égalitaire et humaniste (jusqu’alors les méthodes de supplice variaient en fonction du rang social des condamnés, seuls les nobles jouissaient du privilège d’être “décollés”) deviennent bientôt le théâtre macabre d’une fabrique de fantômes.

Les têtes tombent à un rythme accéléré: le bourreau parisien lui-même, Charles-Henry Sanson, prend peur de cette cadence hallucinée qui, pense-t-il, risque de rouiller ses outils aussi affûtés en tienne-t-il la lame. Conjointement avec Guillotin et un chirurgien du nom d’Antoine Louis, ils sont chargés de concevoir cette machine dont le député n’avait vaguement soufflé à l’Assemblée qu’elle consisterait en “un simple mécanisme”.

À la croisée de pensées politiques, philosophiques, anatomiques et pratiques, naîtra alors la Guillotine dont la construction sera confiée à un fabricant d’instruments de musique, Tobias Schmidt.

Celle qu’on appelle encore “la Veuve”, “le rasoir national”, “la Louisette” devient un mécanisme qui se substitue à l’effort physique de la main du bourreau. Son progrès? Antoine Louis est explicite, il consiste dans la rapidité que permet la mécanique: “avec ma machine, je vous fait sauter la tête en un clin d’oeil, et vous ne souffrez point. La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus”.

Instantanée, “en un clin d’oeil”: la mise à mort mécanique que permet la Guillotine est saluée comme un progrès car on suppose qu’elle allège les longues souffrances qui jadis rituellement accompagnaient la dramaturgie des supplices publics qui s’étiraient sur plusieurs heures. Hormis durant le long convoi qui le transporte de la prison vers l’échafaud où la foule s’amasse pour le huer, le condamné n’a pas le temps de se rendre compte de son dernier instant: le face-à-face avec le bourreau lui est même dérobé, il n’est qu’une pièce qu’on insère dans les rouages d’un système.

La métaphore politique, si elle n’est évidente, révèlera a posteriori le sens impersonnel de cette perspective philosophique ouverte par Michel Foucault du glissement d’une société “disciplinaire” vers une société de “contrôle”.

En outre, un renversement est à noter et non des moindres: la mort subite, si redoutée depuis le Moyen-Âge car elle représentait la mort qui ne permettait aucune préparation-à l’époque où l’enjeu crucial était de “bien mourir” c’est-à-dire de livrer bataille aux démons ultimes qui briguent l’âme du moribond dans l’escompte du salut- la mort subite acquiert, à l’aube de l’accélération technique de la Révolution industrielle, une plue-value incontestée.

Mais, les accidents, aussi infimes soient-ils, ne tardent pas à réveiller le doute: lors de l’exécution de Charlotte Corday, la tête tombée est prise par le bourreau qui la montre au peuple en lui assénant une gifle; la tête de la jeune fille aurait rougi d’indignation. Les spéculations vont alors bon train: et si la vie et la conscience se maintiennent quelques temps dans la tête coupée?  Il n’en fallait pas moins pour attiser l’imaginaire du peuple et des médecins: on commence alors à scruter les moindres signes qui viendraient confirmer que l’irrigation du cerveau permet au condamné de rester conscient quelques instants après sa décollation. Les scientifiques en viennent à imaginer que la rétine de la tête décapitée conserverait comme une relique identifiable et organique, la dernière image qu’il aurait vu avant l’instant fatal…

Le sieur Auberive, dans son opuscule Anecdotes sur les décapités publié à Paris en l’an V, rapporte de nombreux cas où les têtes coupées auraient parlé…

Un arrière-plan fantastique pointe qui n’avait pas été complètement éteint: celui qui depuis l’antiquité, colporte l’imaginaire des “têtes parlantes”dont nécromants et mages obscurs réveillaient la vie latente pour en délivrer présages et prodiges; celui, plus prégnant, de la mort apparente et de son lot d’enterrés vivants et de catalepsies fantastiques. La conscience peut-elle se survivre dans le corps après la mort?  Et au chirurgien Sue de renchérir: “Quelle situation plus horrible que celle d’avoir la perception de son exécution, et à la suite l’arrière-pensée de son supplice?”

La mort persiste à hanter les savants calculs des mécaniques les plus implacables. Bientôt, ce sera la philosophie et les scènes populaires des théâtres qui prendront le relais et rejoueront en questionnant l’horizon ces hantises persistantes. La distinction entre la durée objective d’un évènement et le sentiment intime de cette durée chez son acteur deviendra le creuset phénoménologique où Bergson, Proust viendront puiser. Sur les scènes des théâtres à l’époque Révolutionnaire, cette intuition d’une erreur de raccord nourrira paradoxalement l’avènement d’un trucage qui précède de plus d’un siècle le cinéma: le fondu enchaîné, rendu opérant grâce à la technique sur rail du traveling dans les spectacles de “Fantasmagories” et d’apparitions des fantômes qu’inaugureront à Paris Philidor et Étienne-Gaspar Robertson.

Fondu enchaîné

“La guillotine tranche les têtes avec la vitesse du regard” dira le médecin Cabanis. Et entre l’avant et l’après de la mise-à-mort, se révèle paradoxalement un point aveugle, une invisibilité de fait qui rappelle cette “parenthèse d’oubli”, cet aveuglement à dessein du regard des spectateurs que les prestidigitateurs exercent dans leurs tours afin que leur public ne puisse remonter logiquement les lois causales qui précèdent et imposent l’effet magique.

 

Impossible raccord…Qui peut voir la vitesse du regard? L’horizon “magique” de la guillotine tient à ce caractère indescriptible. “Les spectateurs ne voient rien; il n’y a pas de tragédie pour eux; ils n’ont pas le temps d’être émus” certifie le médecin Cabanis. Il y a comme un court-circuit, comme un escamotage…

De fait, un document extrait des Actes du Tribunal Révolutionnaire rapporté par G. Walter le révèle sans ambages, comparant le bourreau qui actionne la machine à un prestidigitateur alors célèbre: ” à Paris, l’art de la guillotine a acquis une telle perfection, Sanson et ses élèves guillotinent avec une telle adresse qu’on dirait qu’ils ont été à l’école de Comus (prestidigitateur célèbre) dans la façon qu’ils ont d’escamoter leurs victimes”.

Il faudra attendre le XXème s. pour comprendre scientifiquement que dans la succession rapide d’images intermittentes, l’oeil humain ne perçoit pas la discontinuité et les raccorde inconsciemment afin de préserver un semblant de cohérence visuelle. C’est ce qu’on appellera “l’effet phi”, cette illusion de mouvement fabriquée par le regard face à des images qui s’accélèrent: c’est le cerveau qui comble l’absence de transition perceptible par celle qui lui semble le plus vraisemblable. C’est le principe de la stroboscopie et des premiers jeux d’optique qui annoncent le cinéma, fondés sur la persistance rétinienne et l’animation latente.

Phénakistiscope, jeu d’optique sur le principe stroboscopique, XIXème s.

 

À Paris, nous sommes toujours à l’époque de la Révolution, dans les années 1792, à l’aube du gouvernement la Terreur. Partout, les têtes tombent, les fantômes de la veille reviennent hanter les esprits comme les théâtres.

Quelques décennies auparavant, le philosophe écossais David Hume avait comparé l’univers mental de la pensée à la scène dramaturgique d’un théâtre. Il définissait l’esprit comme” une sorte de théâtre où diverses perceptions apparaissent successivement, passent, repassent et se dissolvent, se fondent en une infinité de postures et situations”. La pensée devenait spectacle et les idées qui y naissaient au hasard successif des heurts accélérés des sensations et des images, se comportaient comme des acteurs qui entraient ou sortaient de scène. “All the world is a stage” : jamais comme à l’époque de la Révolution, la phrase de Shakespeare, augmentée des utopies visuelles de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, ne connaîtra de retentissement aussi “raccord” avec l’inconscient collectif.

Dessin fantastique pour la scène du théâtre de Besançon, Claude-Nicolas Ledoux, 1784.

La matière mentale, l’imaginaire qui traverse un individu et qui imprègne une époque, est donc plastique: les pensées et leurs fantômes, les images et leurs hantises infiltrent le cours des évènements puisqu’ils interviennent dans la formation des idées et des représentations. La croyance a un impact sur la matière, au grand dam des chasseurs d’obscurantisme et dans le sens d’une mécanique quantique qui n’a pas encore bouleversé l’horizon scientiste des certitudes.
Pis et à la genèse encore absente de ce que Freud baptisera la “pulsion scopique”: c’est le désir et non la réalité de ce qui est objectivement vu qui gouverne le regard, c’est lui qui altère la perception et modifie la vision.
Avant que la science de la psychanalyse ne le formule au début du XXème s, à leur insu, les illusionnistes du XVIIIème s. en exercent et en exploitent le royaume.
C’est à la faveur d’une découverte qui vient d’Allemagne, la projection d’images de lanternes magiques sur des filets denses de fumée artificielle qu’un certain Philidor-dont l’identité reste aussi vague que ses spectacles- et Étienne-Gaspard Robertson, son concurrent,  introduisent à Paris ce qu’ils appellent dans un premier temps “les Arts Noirs” et qu’ils rebaptisent du nom de “Fantasmagorie”: nécromancie ou art du spectacle, ils promettent aux spectateurs de ressusciter sur scène de vrais fantômes, mieux, les fantômes fraîchement décapités par son autre concurrente, la Guillotine…
Aller à l’échafaud ou au théâtre: les deux espaces étaient montés sur des tréteaux, les deux cadraient une scène où une dramaturgie était à l’œuvre pour s’inscrire dans la mémoire des spectateurs et in fine produire l’Histoire.
Aller au théâtre alors, était un acte militant: on y revivait les évènements politiques du présent, on en transmutait les perspectives , les ombres denses.
Philidor propose son spectacle aux acteurs de la Révolution en cours: il n’y a aucun effet de distanciation. Il leur promet de faire apparaître les fantômes des héros et des martyrs, de leurs amis morts tout juste la veille. Les gens se pressent dans la crypte obscure où le Magicien officie. La nuit bientôt enveloppe le regard, des effets de fumées et d’encens épaississent l’atmosphère. Bientôt, un point lumineux se distingue dans le lointain et va s’épaississant: le fantôme surgit et arrive à quelques centimètres des spectateurs, flotte au-dessus de leurs têtes le temps d’une identification possible puis s’évanouit tout aussi soudainement.
C’est Robespierre, c’est Danton, c’est Marat! Représentés en Diable, les voilà qui repartent dans le cortège des âmes damnées vers les Enfers.
Car les spectacles de Philidor sont politiques et s’imposent comme un Tribunal de l’au-delà où se transfigurent et se damnent les bourreaux et les héros.
Lors d’une représentation…une erreur de manipulation technique de la lanterne magique, renvoie le fantôme de Louis XVI aux cieux sereins du Paradis: c’est le tollé.
Philidor est alors contraint de disparaître…à la traîne du cortège de ses fantômes qui poursuivront, quant à eux, d’agir et de façonner les consciences…si plastiques.
Sous le Directoire et le Consulat, le liégeois Étienne-Gaspard Robertson poursuit les spectacles de Fantasmagorie à Paris dont il a désormais le monopole. Au pavillon de l’Échiquier puis dans la crypte du couvent des Capucines fraîchement sécularisé, il invite les spectateurs à prendre place dans une atmosphère immersive où univers visuel mais aussi sonore et olfactif préparent, à la manière du “forçage” en prestidigitation, aux réactions et à la mystification escomptées par l’officiant-illusionniste. Peintre de formation, Robertson peint lui-même les images des fantômes des Révolutionnaire sur les plaques de verre qu’il fait apparaître : à une époque où les visages des gens célèbres ne sont pas connus via la presse ou les media et donc plus malléables dans leurs contours pour y visser l’identification du regardeur, il reprend des portraits-types qu’il se garde de trop singulariser.
Il reprend à Philidor la nouveauté technique du travelling : la lanterne magique posée sur rails, permet cet effet de mouvement des images spectrales qui s’avancent vers le public. Cette lanterne magique améliorée, Robertson se l’adjuge et la baptise du nom de “Fantascope”.
C’est le succès: les spectateurs redemandent à voir les fantômes des Révolutionnaires, plus rarement de leurs êtres chers, parfois de Virgile et de Pindare. Le public se diversifie et l’illusionniste rivalise d’habileté pour ne froisser personne, surtout pas les agents du pouvoir et leurs indics.
…Lors d’une représentation,  un chouan amnistié demande à Robertson s’il pouvait faire revenir Louis XVI, ce à quoi le Fantasmagore aurait répondu : ” J’avais une recette pour cela, avant le 18 Fructidor, je l’ai perdue depuis cette époque : il est probable que je ne la retrouverai jamais, et il sera désormais impossible de faire revenir les rois de France.”.
Pour Robertson, c’est le début de la fin: des scellés sont posés sur son matériel, il est contraint de se réfugier à Bordeaux. Il refuse de dévoiler la technique latente de ses spectacles…et partout, une hystérie collective gagne l’opinion crédule, persuadée du retour ensorcelé des fantômes.
On lui intente un procès. Il refuse de débiner son secret mais n’a pas breveté son appareil. Bientôt, de rusés concurrents s’en empare et les machines à fantômes font florès et conquièrent l’Europe entière.
Il dira “l’enfer n’eut plus de coulisse, en un mot, il n’y eut plus de chambre obscure”. 
Les fantômes se délaisseront bientôt de leurs truchements de scène pour infiltrer la plus plate réalité; bientôt, l’histoire des hommes se fondra dans le creuset de l’éternel retour clinique des traumas et des hantises tel que Aby Warburg, Walter Benjamin et autres comètes en allument encore les présages.
Bientôt, le spectacle se fondra dans la politique et à mesure que gagnera l’accélération de la reproduction technique des gestes et des images si bien qu’il s’avère désormais impossible de distinguer le raccord occulte qui a tranché la tête de l’instant, si bien que nous nous retrouvons comme les dupes de cet autre illusionniste qu’est le temps, et sur la table de la poursuite ensorcelée des évènements, sans d’autre recours a posteriori que le prêt-à-l’emploi et montage dont la société de consommation et l’industrie du cinéma n’ont point failli à s’assurer le monopole.
Défait du monopole de son prestige, Robertson finira sa vie, loin des fascinations qu’il a attisées, reconverti dans le vol aérostatique: il effectue une dernière liaison Hambourg-Hanovre en 1803.
Un spectre hante l’Europe….

Tombe de Robertson au Père-Lachaise

…Il est enterré au Père-Lachaise♦

 

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