Nadia Barrientos - Paris Sortilèges
Rites de fondation

Avec une superficie de 44 hectares, 100 000 sépultures et plus d’un million de personnes inhumées, le Père-Lachaise est le plus grand cimetière de Paris intra-muros.

Cet havre de paix bordé par la rue du Repos a été ouvert en 1804 sur les hauteurs d’une colline, le “Mont-Louis”où se trouvait jadis le château de campagne des Jésuites de Paris rebâti au XVIIème s. par le Révérend Père de Lachaise, confesseur de Louis XIV; ce petit Versailles rural était alors aménagé comme un palais, ceint d’un jardin à la française aux terrasses et bassins qui s’étageaient sur la colline.

La résidence des Jésuites sur le Mont-Louis

 

Les Jésuites ayant été chassés de France en 1762, les terrains furent achetés et Napoléon les fit servir au début du XIXème s.à l’aménagement d’un grand cimetière à l’extérieur de Paris (alors), le “cimetière de l’Est”. Les travaux sont confiés à l’architecte néo-classique de la Bourse, Brongniart, qui conçoit le projet comme un immense jardin à l’anglaise serpenté d’allées accidentées et de sépultures sculptées dans le goût des parcours ésotériques de la mode d’alors.

 La première inhumation a lieu le 21 Juin 1804: c’est celle d’une petite fille de 5 ans,

Adélaïde Paillard de Villeneuve, qui malgré la particule de son nom, s’avouait la modeste héritière d’un porte-sonnette du faubourg St Antoine. Sa tombe aujourd’hui n’existe plus, la concession a depuis été reprise; son emplacement toutefois, est symboliquement fleuri comme une offrande augurale: il se trouve dans la 60ème division, non loin de l’entrée principale du cimetière, boulevard de Ménilmontant.

 

 

 

 

Parce qu’il se trouve aux limites de l’Est parisien, quartier qui bientôt se constitue, avec la Révolution industrielle, comme un vivier populaire d’ouvriers et de gagne-petits et qu’il est alors fort éloigné du cœur de la ville, le cimetière du Père-Lachaise est boudé par la population qui préfère se faire enterrer encore intra-muros. Afin d’attirer “la clientèle”, en 1817, on décide de transférer au Père-Lachaise, les restes de deux personnalités parisiennes dont l’aura marque le lieu d’une sacralité imparable: ceux des amants mythiques de Paris du XIIème s. Héloïse et Abélard. L’opération marketing se révèle un franc succès: leur tombe devient un lieu de pèlerinage parisien, alors en plein essor Romantique.

On leur édifie un mausolée néo-gothique sous le dais ogival duquel on présente les deux amants sous la figure de gisants, à la mode médiévale.

Cénotaphes de Molière et de La Fontaine

Les restes des deux amants seront suivis par ceux supposés de deux gloires nationales, Molière et La Fontaine, tous deux enterrés nuitamment à la sauvette (on refusait alors l’inhumation aux comédiens et saltimbanques de tous bord) dans des cimetières du vieux Paris. Leurs tombes, encore visibles au Père Lachaise, révèlent derrière l’ostentation du symbole, un contenant plus symbolique que vraisemblable.

Ces rites de fondation sont efficaces, la fièvre s’empare des dernières volontés des parisiens: de 833 sépultures que compte le cimetière en 1812, on passe à 33 000 tombes en 1830.

Des tombes aux pouvoirs qui guérissent

Thaumaturgie: c’est le pouvoir de faire des miracles, notamment de guérison. Jadis, il était l’apanage de certains Saints et du Roi de France, réputé de “droit divin”, ce qui lui conférait le pouvoir magique de guérir les écrouelles de ses sujets-chose qu’il mettait en scène le jour de son sacre, comme une manifestation divine qui servait la légitimité de sa toute puissance politique.

Les lois de la magie sont ainsi faites que d’une personne, les pouvoirs se transfèrent aux objets que celle-ci aurait touché de son vivant ou qui sont mises à proximité de sa dépouille.Les “reliques” des saints au Moyen-Âge deviennent ainsi l’étalon-or mystique des églises où affluent des foules de pèlerins et infiltrent par la suite la conception fétichiste du patrimoine, lequel retrouve après la Révolution Française, sous le label avalisé de “l’œuvre d’art”l’aura magique survivante d’une fascination toujours opératoire au niveau religieux comme marchand.

Au cimetière du Père Lachaise, passées les sépultures mythiques inaugurant le lieu de façon publicitaire, quelques tombes se font le point de rencontre d’étranges survivances:

La tombe qui communique avec l’au-delà

Tombe d’Allan Kardec, 44ème Division

De son vrai nom Hippolyte-Léon Denizard Rivail, le fondateur du spiritisme en France Allan Kardec “désincarné” en 1869 et enterré au Père-Lachaise est la personnalité qui connaît la tombe la plus fleurie. Et pour cause…Celui qui de son vivant, se passionna pour la communication avec l’au-delà, laissa des instructions posthumes à ceux qui viendraient visiter sa tombe: “après ma mort, si vous passez me voir, posez la main sur la nuque de la statue qui surplombera ma tombe, puis faites un voeu. Si celui-ci est exaucé, revenez avec des fleurs“.

Aujourd’hui, des milliers de visiteurs du monde entier viennent se recueillir sur la tombe du spirite. L’épaule gauche fortement polie de son buste atteste les attouchements répétés. Comme sur le tombeau d’un Saint, les gestes de ferveur et de piété se succèdent. Certains vous diront que la tombe de Kardec a le pouvoir d’exaucer les souhaits: tous s’accordent pour prêter au lieu une énergie particulière…et mystérieuse.

La tombe qui guérit les troubles de la vue

La tombe de “bonne maman”, 94ème Division

Moins connue que celle du spirite, la tombe d’une femme qui fut son élève, Rufina Noeggerath dite “bonne maman” et qui à l’heure de sa mort en 1908 était considérée comme la doyenne du spiritisme en France. Auteur de nombreux ouvrages consacrés à la survivance de l’âme, sa tombe est encore fleurie par des personnes qui font spécialement le déplacement. Elle est un passage obligé pour les médiums. Sa particularité? La tombe guérit les troubles de la vue. Pour ce faire, il suffit de prendre une feuille sur l’une des plantes fleurissant la tombe et de se la poser sur les yeux.Vision ophtalmique ou vision extra-lucide: nul doute que la tombe de “bonne maman” favorise aussi l’ouverture du troisième œil.

La tombe qui guérit les problèmes sexuels

 

 

 

 

 

 

 

 

À l’angle de la 40ème Division et du Chemin des Anglais, une sculpture de bronze attire l’attention: elle représente le “bon berger” de la parabole biblique et surplombe la sépulture de la famille Davillier. Chose étrange: le museau du mouton à gauche de la statue témoigne d’une usure prolongée. La cause? On prête au monument un pouvoir thaumaturgique bien ciblé: il guérirait les problèmes sexuels de tout ordre, impuissance ou manie, de qui viendrait se frotter contre le museau de la brebis égarée. Aussi, le museau poli de la pauvre bête qui avait pris la poudre d’escampette dans le récit, se retrouve assignée à demeure d’une fonction pour le moins cocasse et de salut public… sans conteste.

La Tombe aux vertus divinatoires

Tombe de Mlle Lenormand, 3ème Division

Une autre tombe ne désemplit pas d’offrandes: c’est celle de Mlle Lenormand, la cartomancienne et devineresse de la Révolution Française qui mourut en 1843 et reste la plus grande figure de voyante que le XIXème s. ait connu. Consultée par Marat, Robespierre et St Just à qui elle annonça une mort violente, puis par Napoléon à qui elle prédit son exil sur une île, celle qu’on baptisa “la sibylle du faubourg St Germain” tirait les cartes chez elle, rue de Tournon où le Paris de l’Empire et de la Restauration affluait.

On prête à sa tombe le pouvoir particulier de recharger énergétiquement les jeux de cartes et de tarots des praticiens en herbe: pour ce faire, il suffit d’y déposer son jeu et de l’y laisser reposer une nuit entière (de préférence de pleine Lune). Le lendemain, le jeu de cartes rechargé par l’énergie opérante de la voyante, promet à son propriétaire une pratique divinatoire accrue de l’influx magique opéré par le truchement des  cartes.

Les rites sexuels sur le gisant de la tombe de Victor Noir

La tombe de Victor Noir, 92ème Division

C’est sur la tombe d’un journaliste du second Empire, Victor Noir, tué lors d’une querelle par le neveu de Napoléon Bonaparte en 1870, que se succèdent les ferveurs les plus curieuses. “Martyr” Républicain, Victor Noir, assassiné à l’âge de 21 ans reçut des funérailles presque nationales tant la foule en colère était immense et agitait la menace d’une sédition. En 1891, sa dépouille était toujours un symbole et elle fut transférée au Père Lachaise. Le sculpteur Jules Dalou réalise alors son gisant en bronze de manière réaliste confondante:  Victor Noir est représenté dans l’état où l’on retrouva son corps juste après le coup de feu. La bouche est entrouverte, les vêtements dégrafés, le chapeau a roulé à terre. Pour la réaliser, le sculpteur a au préalable moulé le corps nu d’un modèle, ce qui exauce le gisant d’une virilité on ne peut plus évidente.

Une oxydation de la patine au niveau du sexe témoigne d’un rite toujours actuel: les femmes en mal d’enfants ont pour coutume de venir se frotter au sexe de la statue, cet acte prodiguant, paraît-il, fertilité aux femmes stériles ou virilité aux hommes frappés d’impuissance♠

 

 

 

 

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