Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

 

 

La Ballade des Pendus

Que deviennent les cadavres des condamnés à mort?

Au Moyen-Âge et jusqu’au XVIIIème s, la question ne se pose pas: les cadavres des nombreux condamnés roués, pendus, décollés ou écartelés en place publique finissent par disparaître, soit qu’ils soient réduits en cendre en dernière instance (et ce, afin d’éviter que leur dépouille ne vienne nourrir le marché macabre du commerce de leurs reliques), soit qu’ils soient hissés sur les fourches patibulaires des gibets où leurs dépouilles, servant ainsi de symboles répressifs de la justice du seigneur, finissent naturellement par se corrompre, rongés par les oiseaux, érodés par le vent, la pluie….

“La pluie nous a lessivés et lavés
Et le soleil desséchés et noircis;
Pies, corbeaux nous ont les yeux crevés,
Et arraché la barbe et les sourcils.“(François Villon, la ballade des Pendus)

…Ainsi va le destin des suppliciés, eux qui de leur vivant n’ont de statut que criminel et dont la mort, infamante, poursuit jusque dans l’exposition de la corruption de leur cadavre, de justifier aux yeux de tous la faute morale qui les gangrène en matière…et en esprit.

Des cadavres des “gueux”, des boucs-émissaires de la cité qui de leur vivant se voient expulsés du corps social comme on en extrairait la maladie, la pierre de la folie et qui une fois morts, acquièrent-il arrive- un destin posthume “glorieux” qui sert les rites magiques et thaumaturgiques les plus obscurs: c’est au pied des gibets que fleurissent les mandragores, ces plantes aux vertus magiques extraordinaires dont on attache l’origine à la semence des pendus et que les sorciers viennent déraciner péniblement à la nuit tombée.

C’est aussi les membres putréfiés des pauvres hères pendus aux quatre vents qui nourrissent les grimoires occultes de la magie médiévale: chaque morceau, préparé sous les auspices précises de telle planète, exalte des vertus curatives ou protectrices que l’on distille en décoctions ou façonne en amulette.

Un marché macabre prend le pas dans le folklore sur la propagande répressive et judiciaire. Il arrive que les cadavres des condamnés, dont la propriété (le cadavre est-elle un être ou bien une chose? La question demeure on ne peut plus actuelle) revient au bourreau jusqu’à la Révolution française, deviennent l’objet de transactions au marché noir.

Pour pourvoir les sorciers en matière à talismans mais aussi pour nourrir les exercices d’autopsies et de dissections humaines alors clandestines, les bourreaux revendent à différents clients, le corps taillé en pièces de leurs victimes.

Une anecdote rapporte même cette chose curieuse: au XVIème s, c’est avec l’avance de la somme de son cadavre qui avait été vendu par son bourreau avant sa mort, qu’un condamné put se payer un ultime gueuleton la veille de son exécution…

Une chose est claire: le cadavre des condamnés est une figure politique des plus ambivalentes, subversives. À la fois catalyseur des peurs sociales, urbaines et inversion carnavalesque propice aux détournements, aux métamorphoses, ce corps hérétique au sens plein, pour lequel on n’autorise ni lieu de mémoire ni sépulture, flotte au gré des régimes et des justices comme le spectre le plus en marge, l’exilé de tous les exils, le tabou par excellence.

Le Gibet de Montfaucon, au niveau de l’actuel 53-61 rue de la Grange-aux-Belles (Colonel Fabien)

À Paris, depuis le Moyen-Âge et jusque la Révolution française, si d’aventure le cadavre du supplicié ne disparaissait pas intégralement par la longue exposition aux saisons et aux intempéries, il existait une fosse au centre du Gibet de Montfaucon qui servait de charnier accéléré où les restes réfractaires des pendus, roués, bouillis et décapités de la capitale s’amoncelaient jusqu’à s’anéantir.

 

 

La Révolution française et la question des cadavres des guillotinés

Le Gibet de Montfaucon et sa figure massive hantent les limites de Paris jusqu’à la fin du XVIIIème s. où il est détruit. À la Révolution française et au rythme de la guillotine qui mécanise et accélère les exécutions publiques sous couvert d’un sursaut démocratique (jusqu’alors, la décapitation, considérée comme la méthode d’exécution la plus brève et la moins douloureuse était le privilège social des nobles; la pendaison étant le lot des manants, des roturiers), une question affleure: que faire des dépouilles des décapités qui chaque jour se multiplient et font de certains quartiers de Paris des fosses pestilentielles à ciel ouvert?

À la suite de l’abolition de la torture et des supplices publics remplacés par le standard de la décapitation expéditive (la Guillotine est “l’instrument démocratique”), l’Assemblée constituante autorise le 21 Janvier 1790 l’inhumation des cadavres des suppliciés dans les cimetières (dans des carrés précisés à cet effet) ainsi que la possibilité de restituer les corps aux familles (jusqu’alors interdite).

Une réforme conséquente qui fera d’ailleurs sursauter Diderot lui-même, lequel préconisait de “rentabiliser” les corps des futurs condamnés à mort en les faisant servir de cobayes vivants à la science alors naissante: plutôt que de les accumuler dans des fosses dont le coût s’avère certain, pourquoi ne pas les destiner à des séances de vivisection où les scientifiques pourraient in vivo optimiser leurs connaissances pour l’intérêt général du progrès?

Les réactions de l’opinion fusent: on mesure ici la révolution morale que constitue le destin des cadavres de ceux qui jusqu’alors étaient politiquement voués à disparaître de l’horizon tangible et mémoriel de l’histoire collective.

◊Le cimetière de Picpus et les fosses communes improvisées de la Terreur

Au 35 rue de Picpus, derrière une façade discrète se cache un des cimetières les moins connus et pourtant des plus singuliers de Paris: le cimetière de Picpus, seul cimetière “privé”(l’entrée y est payante, le conservateur y loge sur place dans une demeure qui rappelle les loges des anciens veilleurs et écrivains publics), il est surtout connu pour abriter les fosses communes où finirent les corps des guillotinés de l’apogée de la Terreur.

Son histoire est indissociable de la proximité de la Guillotine qui en juin 1794 avait été déplacée de la Place de la Révolution (actuelle place de la Concorde) pour des raisons de salubrité publique. En effet, depuis 1792 où elle avait été installée au centre de Paris, le sang et les restes humains saturaient les rigoles et les pavés et ce, malgré les convois de charrettes quotidiennes qui transportaient les cadavres décapités vers les fosses communes aménagées à proximité à cet effet (“les Errancis”, à l’angle des rues du Rocher et de Monceau dans le VIIIème arrondissement mais aussi “Sainte-Marguerite” rue St Bernard dans le XIème).

La barrière du Trône, ancienne “place du trône renversé” où fut déplacée la Guillotine en juin 1794.

En juin 1794 et parce qu’aussi les exécutions s’accélèrent (on en compte 55 par jour!), la Guillotine, après avoir fait une courte halte devant les vestiges de la forteresse de la Bastille, trouve une place idoine aux portes de la ville: à la barrière du trône, entre les deux portes d’octroi, par où les officiers de la Ferme Générale taxaient copieusement les droits d’entrée des marchandises dans Paris. Ici, en cet entresort ouvrant sur les faubourgs qui se dessinent à peine sur le relief laissé à la campagne, le lieu est tout trouvé: ni dans la ville ni vraiment dehors, à la limite, les exécutions se poursuivront de manière expéditive, arbitraire, et le sang versé n’incommodera pas les riverains.

Renommé “place du trône renversé”(c’est l’actuelle place de l’île-de-la-Réunion jouxtant la place de la Nation), le sinistre carrefour sera témoin d’une la cadence accélérée dans l’horreur: alors qu’on dénombre 1120 décapités place de la Révolution entre 1792 et juin 1794 (soit en 13 mois), en 43 jours barrière du Trône (entre le 14 Juin et le 27 Juillet) le décompte macabre atteint le nombre de 1306 victimes…

La proximité de la campagne mais aussi de terrains de couvents nationalisés par la Révolution apportent une solution toute trouvée à l’épineuse question du destin posthume des cadavres. Et à l’image de l’exil de la Guillotine hors-les-murs, c’est à la faveur de la nuit tombée et clandestinement qu’on se débarrasse de ces corps aux têtes amputées.

À quelques centaines de mètres du lieu d’exécution, on tombe sur l’ancien jardin du couvent des chanoinesses de St Augustin, chassées par la Révolution: jugé idéal, ce terrain de 300m enclos par un mur se convertit en fosse commune improvisée où les guillotinés du jour rejoignent dans le secret une demeure (décharge?) ultime. Pour faciliter l’acheminement quotidien des corps, on perce une brèche dans le mur d’enceinte du couvent désaffecté: les chariots de cadavres n’ont alors qu’à balancer directement leur lot de malheureux qui ont tôt fait de s’entasser dans le trou de terre creusé. 

Jouxtant les fosses communes de Picpus, les vestiges de l’ancien couvent des chanoinesses, spolié par la Révolution.

Aujourd’hui, jouxtant le vestige d’une porte du couvent, une plaque rappelle la macabre et prosaïque entreprise: ici, les fossoyeurs improvisèrent un “bureau” où ils procédaient méthodiquement à l’inventaire des vêtements et des effets qu’ils récupéraient sur les cadavres des suppliciés avant de les mettre en terre.

Une fosse, une deuxième puis une troisième furent ouvertes. Au total, 1306 personnes d’origines sociales diverses, âgées de 16 à 85 ans et condamnées sommairement pour des motifs fallacieux, grotesques voire inexistants vinrent remplirent les fosses communes improvisées dans les ruines du couvent.

La liste de leurs noms gravée sur le marbre du chœur de la petite église construite plus tard dans le cimetière, donne le vertige:

•”Lejeune, 66 ans, laboureur”

•”Edelmann, 48 ans, musicien”

•”Laroque, 30 ans, femme célibataire

•”Burk, 17 ans, matelot”

•”Pestels, 49 ans, chevalier de l’ordre de Malte”

•”Andrecy, 38 ans, cabaretier”

(…)

Arrêt sur image: se succèdent les vies infimes, fragiles, prises au vif d’une profession, d’une qualité qui n’est souvent qu’un visage d’occasion. Riches et pauvres, nantis et manants, jeunes et vieux, hommes et femmes défilent ensemble en une danse macabre sans avoir forcément à voir, sans peut-être même s’être vus…

On renoue ici, de manière plus cynique car inconsciemment industrielle, avec l’inconscient de la Danse Macabre médiévale…

Danse Macabre peinte en 1423 au cimetière des Innocents à Paris, gravée par Guyot Marchant en 1485.

…à cette différence qu’à l’issue métaphysique, cathartique et carnavalesquement initiatique qui affleurait alors, s’impose désormais et à l’horizon d’une mise-à-mort  mécanique, le fantôme d’une bureaucratie posthume sans visage, automatique.

Tout fut fait pour que les fosses communes de Picpus dorment à jamais dans l’oubli…Ceci, sans compter sur l’audace d’une jeune fille, la “demoiselle Paris” qui avait perdu père et frère sur l’échafaud et qui une nuit et en cachette, se mit à suivre la charrette des cadavres jusqu’au mur de Picpus. Grâce à elle, les familles des disparus localisèrent les fosses creusées dans lesquelles plus d’un millier de personnes avait été enterré sans regard et dans l’urgence.

Les familles, nobles pour certaines, se fédérèrent pour acheter l’enclos des fosses et les terrains mitoyens. Comme leurs proches avaient été mis en terre sans le recours du service religieux, elles décidèrent de consacrer ce lieu au recueillement, à la prière et au souvenir: c’est l’origine du cimetière actuel de Picpus.

Aujourd’hui, lorsqu’on pénètre dans le lieu, on est frappé par la douce atmosphère qui règne dans cet enclos de verdure miraculeusement tapi derrière les rues grouillantes du XIIème arrondissement. La ville s’est étendue bien au-delà de ses limites du XVIIIème s. et ce qui était alors le fief verdoyant des cultures de la campagne a laissé la place au savant chaos du lotissement des faubourgs qui désormais forme des quartiers à part entière.

Paris Sortilèges Nadia Barrientos

Se recueillir au cimetière de Picpus, c’est, en-deçà de se remémorer les épisodes tragiques qui en scellent l’origine, jouir d’un carré presque sauvage de printemps lorsque les arbres frétillent au vent d’avril et réservent l’ombre comme une caresse qui vient faire fleurir, solitaires, les rêveries du promeneur.

C’est un morceau intact du XVIIIème s. baigné de cette méditation philosophique si caractéristique des visions d’Hubert Robert qui se tiennent au seuil des catastrophes, clairsemés de ruines anticipées comme un défi à l’entendement, à l’eschatologie du paysage, c’est une parenthèse laissée vivante, inviolée, une capsule temporelle qui survit au coeur du Paris éreinté par les révolutions de tout ordre que le temps lui harnache.

Un seuil initiatique où se devine encore l’accès vers une réalité plus subtile, intérieure: gardé par une statue de Saint-Michel luttant contre le dragon, il nous invite à creuser dans les fosses béantes de l’histoire-celles, souvent qui se referment sans témoin-pour en apercevoir peut-être le combat toujours à l’oeuvre, les forces irréconciliées des victoires et des défaites, les innocents et les coupables…que la terre profonde de la mémoire remue dans les abîmes et recompose dans le mystère que le silence féconde dans l’instant.

Le carré des suppliciés du cimetière parisien d’Ivry

Aux limites sud de la capitale, peu exploré, ne comptant pas son lot de tombes de personnalités qui aimantent les curieux, le cimetière parisien d’Ivry affleure comme le parage excentré d’une histoire dormante…et non moins ambivalente.

Tout commence en 1860, lorsque Paris s’agrandit et annexe les communes limitrophes qui mutatis mutandis se convertissent en faubourgs. Les cimetières parisiens intra-muros ne suffisent plus à engloutir leur lot de défunts qui se multiplie à proportion d’une démographie exponentielle. La ville décide alors d’acheter des terrains extra-muros et d’y créer de nouveaux cimetières.

À Ivry, dont la moitié avait été avalé par le récent XIIIème arrondissement, quartier industrieux et prolétaire du sud-Est parisien, c’est un terrain de navets qui dégagera l’espace nécessaire à l’aménagement d’un futur cimetière. Dès son ouverture en 1861, le cimetière parisien d’Ivry accueillera une “clientèle” populaire: ouvriers et travailleurs du quartier mais aussi indigents, morts dans la rue ou à l’hospice et défunts non-réclamés par leur famille qui jusqu’alors donnaient du fil à retordre à l’administration des cimetières du centre de Paris. Une tranchée gratuite leur y sera exclusivement réservée: le célèbre “carré des indigents” qu’on retrouve aujourd’hui au cimetière parisien de Thiais, renommé par euphémisme “terrains communs” puis rebaptisés par bienséance “jardins de la fraternité”.

Le “carré des indigents”-“terrains communs”-“jardins de la fratenité” du cimetière parisien de Thiais.

La cacophonie nominative rend le symptôme éloquent: dans une culture du déni de la mort comme la nôtre, et à mesure que la technocratie gestionnaire et impersonnelle impose dans toutes les dimensions de la vie-jusqu’aux plus intimes- le monopole d’une rationalisation implacable et sans visage, les mots ne servent que de cache-misères; derrière les repentirs et les non-dits, les refoulés et les palimpsestes, le langage se fait sinistre fossoyeur.

Les cimetières existent dans la ville: cerclés par des enceintes massives, labellisés “parcs et jardins” respectueux des écosystèmes et des propagandes bien sous tous rapports, éthiques et responsables, ils dressent une ultime décharge où parquer les dénis, si archaïques, nonobstant modernes qui viennent étrangement infiltrer les moindres strates de la vie sociale qui se poursuit en dehors de ses limites.

Tout comme pour Baudrillard “les prisons sont là pour cacher que c’est le social tout entier, dans son omniprésence banale qui est carcéral” nous pourrions avancer sans nous tromper, que les cimetières sont là pour occulter que c’est le vécu tout entier -dans ses parts les plus reculées du vivre ensemble et même jusqu’aux angles sculptés par l’insondable intériorité qui se fait le trésor de chacun-c’est la vie nue dans sa banale fécondité qui est devenue le refuge mortifère d’une mort galopante à plus forte raison que travestie.

Les dépouilles bannies des suppliciés que personne ne réclame ont à voir avec les fantômes des dénis qui surpeuplent la psyché.

On croit les parquer, les verrouiller, les dévitaliser dans un périmètre arrêté à cet effet: les voilà qui inondent avec la force décuplée des rancœurs et des exils, les silences laissés vacants entre deux phrases, l’inconscient du crépuscule qui tarde à dissoudre les vestiges du jour qui est passé, les plats stratagèmes des initiations quotidiennes que l’habitude confond dans le brouhaha urbain qui les dissipe.

Le cimetière parisien d’Ivry, snobé par la population parisienne qui lui préfère des cimetières moins excentriques et la proximité de voisins illustres et reconnus par la bonne Histoire (comme le deviendra le parc d’attraction du Père-Lachaise) devient le déversoir des défunts indésirables: communards massacrés lors des insurrections de 1871, résistants communistes pendant le seconde guerre mondiale et, à partir de 1869, le terrain commun où viendront échouer en toute légalité les dépouilles des condamnés à mort du droit commun, exécutés par la Guillotine à la porte des prisons, celle de la Roquette, celle de la Santé.

C’est la célèbre “Division 27” jadis connue sous “le carré des suppliciés”: un bout de terrain vague éloigné des sépultures des “honnêtes gens”, alloué par la ville au destin posthume des cadavres des condamnés suivant les nouvelles dispositions prises à cet effet en 1790 par l’État.

Le rituel était immuable: la veille du jour de l’exécution, le conservateur du cimetière recevait l’ordre écrit du commissaire de police de “faire creuser la fosse qui recevra les restes du nommé XXX, condamné à la peine de mort par arrêt de la Cour d’Assises (…)”. Un fossoyeur du cimetière creusait alors et recevait une prime pour cet extra.

Les corps des suppliciés fraîchement guillotinés arrivaient dans un fourgon, placés dans un panier,”la tête entre les jambes”. Puis ils étaient portés en terre dans la fosse où cahin-caha, ils se mêlaient les uns aux autres en un chaos posthume.

Le mot d’ordre était: l’anonymat. Certes, la législation avait accepté depuis le Révolution l’inhumation des cadavres des parias dans un terrain alloué à la ville mais sous couvert de respecter cet ultime vestige du tabou magique qui s’attache aux corps des maudits et des proscrits. Où qu’il repose, il ne fallait qu’aucun signe, qu’aucune inscription ne permette d’identifier le criminel que la société avait condamné au sceau de l’infamie pour l’éternité.

Jusqu’à l’abolition de la peine de mort en France en 1981, ce furent 128 cadavres de guillotinés qui échouèrent au carré des suppliciés de la division 27 du cimetière d’Ivry. Parmi eux, leurs noms se sont pour la plupart perdus dans l’amnésie collective: Jean-Jacques Liabeuf (cordonnier de son état, exécuté pour avoir tué un policier), Marie-Louise Giraud (une “faiseuse d’anges”), Paul Gorgulov (assassin du président Dourmer), Georges Rapin (le caïd dandy à la trogne de vedette holywodienne qui émut les média des années 1960) ou encore, peut-être plus retenu par la mémoire sélective: le sombre docteur Petiot.

Georges Rapin, le visage d’une vedette, le passé d’un bourgeois et la vie aventureuse d’un caïd dans le Paris des années 1950.

 

Jusqu’aux années 1990, malgré l’interdiction stricte de toute évocation des suppliciés, on pouvait toutefois repérer le carré de la fosse commune dont le périmètre était tracé.

Dans les années 1990, suite à l’obsolescence de la peine de mort qui déjà paraissait une vieille histoire, le cimetière d’Ivry, désireux de se débarrasser de ce carré à l’histoire subversive, décide de transférer les restes des suppliciés vers l’ossuaire du cimetière parisien de Thiais. Ce dernier fut vite plein et pour faire de la place, on envoya les restes des pauvres hères au crématorium du cimetière du Père-Lachaise où ils furent anéantis par le feu et dans les normes.

Les quelques cendres qui restèrent furent dispersées sans rituel ni mémoire au cimetière de Thiais.

Les registres funéraires du cimetière ne garde nulle trace de ces transferts. On ne peut affirmer avec certitude qui disparut dans les flammes de l’incinérateur du Père-Lachaise ou qui trouva une autre destination.

Aujourd’hui, lorsqu’on se rend au cimetière d’Ivry, le marquage au sol du carré des suppliciés a été effacé. La division 27 existe toujours

Elle n’est pas grand chose…Hormis quand vient l’automne: les feuilles mortes s’y retrouvent.

…et improvisent, à l’insu des décrets et des tabous, un ultime mémorial, chaotique, virevoltant et végétal♠

 

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