Nadia Barrientos - Paris Sortilèges

Le cadran solaire occulte de la Place de la Concorde…et les heures fantômes de Paris

Le passant pressé passe le plus souvent  côté des menus détails les plus fascinants de l’histoire parisienne. À terre souvent, à marée basse si l’on accorde avec Balzac que Paris est ce fond marin* où viennent se déposer avec le temps les étincelles fossiles et les irisations secrètes des regards qui hier ont façonné la ville: des éclats imperceptibles, presque indéchiffrables-pavés asymétriques, fil de bronze, fer saillant, inscriptions intempestives-sèment sur cette surface mille fois recomposée par les pas qui ne laissent trace, une conversation étrange qui redouble en sourdine, la ville réelle d’une ville bruissante…et invisible.

* “Paris est un véritable océan. Jetez-y une sonde, vous n’en connaitrez jamais la profondeur” (Balzac, le Père Goriot)

 

 

 

 

Chasse-roue, plaque rappelant le passage souterrain de la rivière de la Bièvre sous le XIIIème arrondissement, marque de censive de la rue des Fossés-Saint-Jacques

Ces indices étranges, oubliés, amputés des usages qui les ont vu naitre, survivent ironiquement -poétiquement?-force de leur discrétion, aux défigurations successives de l’urbanisme et font figure de résistance face à l’irrévocable néantisation du passage du temps.

Et pourtant, ils réouvrent, à qui aiguise l’organe de l’attention, l’intuition d’un temps moins cruel: un temps non-linéaire, vibrant d’anachronismes, saturé d’étreintes, de séductions, bruissant de rumeurs et de passe-droits à même de percer l’énigme; l’énigme d’une ville-creuset dont la transmutation est toujours en cours et qui recompose à notre insu et forte de notre ignorance, sa mémoire secrète: vivante.

Il faut alors scruter le sol, les angles, les dénivelés comme anciennement les augures guettaient le ciel dans l’attente de signes à même d’induire une signification occulte aux bouleversements qui sur terre assaillaient le cours de l’existence.

“Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas” rapporte la révélation du célèbre Hermès Trismégiste, intronisant par là même la première loi de la tradition magique en occident, à savoir la correspondance étroite entre le micro- et le macrocosme, dans l’un des premiers traités d’alchimie de notre ère. Aussi peut-être faut-il revenir sur nos pas-ceux que le temps feint laisser filer- et remonter le cours des traditions jusqu’à se fondre à la traîne du cortège des anciens carnavals qui savaient redresser la signification du monde force d’inversions des valeurs, des hiérarchies, de “ce qui est en haut” et de” ce qui est en bas”.

Au diapason de la Roue de la Fortune…

La Place de la Concorde garde scellés dans son pavement et à discrétion, les chiffres romains en bronze aux extrémités de lignes de même matériau partant de l’obélisque:

Au cours d’une journée, le soleil fait dériver l’ombre portée de l’obélisque d’est en ouest, du lever au coucher su soleil. Ces indications au sol figurent les mesures d’un véritable cadran solaire inversé, au sol et à l’échelle de la Place dont l’obélisque marque le gnomon (l’aiguille).Théoriquement, à toute heure de la journée, lorsque le soleil est présent, il suffit de suivre la ligne d’ombre au sol provenant de l’obélisque jusqu’aux intervalles matérialisés par les chiffres romains pour connaitre l’heure.

Ce cadran solaire occulte se révèle l’horloge publique la plus grande de la capitale mettant à profit le monument le plus ancien de Paris-l’obélisque du Temple de Louxor offert à Charles X par l’Égypte en 1831 date du règne de Ramsès II, soit 13 siècles avant notre ère.

Relativement récent-le marquage au sol date de 1999 tout comme le recouverte du pyramidion en feuilles d’or l’année précédente et à l’occasion des festivités du passage à l’an 2000 (l’idée d’un cadran solaire géant sur cette même place avait déjà été émise par l’astronome Camille Flammarion en 1913 avant d’être reprise sans succès lors de l’exposition universelle de 1937).

Mais la Place de la Concorde est loin d’avoir épuisé ses parcours solaires…

Un médaillon pour le moins étrange ravive une curiosité que nous avions crû éteindre: un médaillon où est inscrit “Au levant de Thèbes surgit à Paris le Nord”. Une phrase mordancée d’énigme et qui sous le voile d’une noce secrète que consommerait Paris avec la mythique Égypte, nous renvoie à l’histoire de l’arrivée de l’obélisque, de son symbole et …de ses sortilèges.

L’obélisque de la Concorde, provenant du grand temple de Louxor en Égypte a été offert par l’Égypte à la France en 1831 en symbole de bonne entente. Son transport complexe nécessita la construction d’un bateau sur mesure et mit plus d’un an à convoyer le géant de pierre des rives du Nil à celle de la Seine. Son érection sur la Place en 1836 ne fut pas en reste et maintes représentations en rapportent la délicate logistique.

Lors de cette monumentale érection, il n’a pas été choisi de conserver l’orientation originelle du monolithe. Il a subi une rotation anti-horaire de 90°. La face originellement à l’est s’est donc retrouvée au nord. D’où l’explication de l’énigmatique médaillon… L’obélisque est décalé!

Un obélisque érigé sur une place pour le moins cruciale d’un point de vue symbolique et au regard de l’histoire nationale : l’ancienne place de “la Révolution” où la guillotine, étalon dressé de la terreur sans d’autre horaire que le sang versé, trancha plus de têtes qu’on n’en compta et parmi lesquelles celles de Louis XVI et de Marie-Antoinette. À cet effet, et parce que l’exécution des souverains exigeait quelque singularité sans doute, on déplaça l’échafaud-jusqu’alors central- à l’ouest de la Place, à mi-distance du piédestal central et de l’entrée des Champs-Élysées. L’exécution a été décalée…

L’heure tourne, celle des régimes comme celle des astres. Les aiguilles des horloges révèlent rarement leurs ombres à qui de face les contemplent.

Parfois, la survivance des formes est savante: au centre de la Place, un échafaud d’une autre mise dresse aujourd’hui son imposant regard sur la foule absente de l’histoire.

Nadia Barrientos - Paris Sortilèges La métaphore du soleil et de ses renaissances quotidiennes redouble la métaphore politique de l’abolition des pouvoirs. Comme un rite archaïque s’infiltrerait à l’insu de la mainmise humaine sur le cours des heures de l’histoire, ses revenances secrètes, ses répétitions dans les coulisses d’une ville qui rejoue sans le savoir dans les métamorphoses des architectures qui se succèdent, les forces en tension dans l’espace des luttes humaines.

La Place de la Révolution renommée “Place de la Concorde” au XIXème s. et pour pacifier les énergies toujours latentes, posa de sérieux problèmes symboliques aux gouvernements. De la liste des monuments qu’on y rêva (une statue de la liberté,une statue de Charlemagne, une chapelle à la mémoire de Louis XVI) que l’obélisque égyptien recouvre de ses ombres, le monument égyptien, du fait de son exotisme, sût faire régner le consensus entre les différentes querelles de mémoire et asseoir, malgré lui, le fond mythique d’une Paris liée à l’Égypte antique, à l’Égypte des sagesses occultes et des premiers alchimistes, ceux-ci qui baptisèrent leur science du nom de la terre noire du limon du Nil (Al-kemya: la terre noire).

Un obélisque donc au centre d’une place que le sang de la Révolution a noyée, un obélisque qui, si l’on revient à sa destination première au seuil du pylone du temple de Louxor, matérialisait la pétrification de ce qu’il existe de plus diaphane: un rayon de soleil. Dont les hiéroglyphes qui le recouvrent nous montre le pharaon Ramsès II faisant une offrande à Amon-Rê, divinisation solaire.

Le pyramidion en feuilles d’or qui vient en décorer le faîte rappelle le pyramidion d’origine, alors en électrum, et qui concrètement servait à dévier le cours de la foudre-l’obélisque servant de para-tonnerre au seuil du temple égyptien.

Lors de se pose à la pointe du monument en 1998, Étienne Poncelet, architecte en chef des monuments anciens de Paris en charge du projet, redouble les énigmes puisqu’il affirme:”J’ai fait installer sous le pyramidion un ensemble dont je ne peux pas vous parler et qui est une sorte de secret de ce haut de l’obélisque dans lequel sont données toutes les qualités symboliques de ce qui se passe autour de Paris”.

“Umbilicus Solis” (le nombril du Soleil): ainsi les Romains nommaient le point central du plan d’une ville . “Omphalos”(le nombril): pour les Grecs, il s’agissait de l’accès sacré au centre de l’Univers lui-même♦

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